Conséquences du contre-terrorisme sur les travailleurs de première ligne
L’organisation humanitaire médicale Médecins sans Frontières (MSF) publie cette semaine le rapport « Adding salt to the wound » (rajouter du sel sur la plaie, en français), qui présente un tableau sombre de la réalité des efforts déployés pour fournir des soins médicaux impartiaux vingt ans après le début de la "guerre mondiale contre le terrorisme", dans le sillage du 11 septembre 2001.
Les résultats de la recherche, qui a été soutenue par l’Unité de Recherche Opérationnelle du Luxembourg (LuxOR), offrent un aperçu unique de la réalité du travail dans des pays où se déroule une guerre contre le terrorisme tels que l’Afghanistan, l’Irak et au Nigeria.
« Le personnel de MSF en première ligne nous a raconté comment il est harcelé, intimidé, battu et accusé de soutenir les terroristes lorsqu’il fournit des soins de santé impartiaux », a déclaré Luz Saavedra, le chercheur principal du rapport au sein du département d’analyse de MSF.
Le rapport comprend les résultats de la recherche opérationnelle en cours, lancée à l’initiative conjointe du département d’analyse de MSF et de LuxOR. Cette recherche vise à combler une lacune identifiée dans les informations existantes et la littérature scientifique : le point de vue manquant des travailleurs de première ligne fournissant des soins médicaux et directement exposés aux mesures et opérations de contre-terrorisme. L’Unité luxembourgeois a accompagné le département d’analyse dans le développement et l’application d’une méthodologie scientifiquement robuste, afin que le rapport soit basé sur une compréhension solide du sujet, et a supervisé l’application stricte des normes éthiques de MSF dans la conduite de la recherche.
Prendre des risques réels et personnels pour fournir des soins de santé
L’un des principaux constats est que les politiques et pratiques antiterroristes font courir des risques réels et personnels aux médecins. Près de deux tiers des membres du personnel qui ont participé à des entretiens approfondis avaient directement subi ou été témoins de violences ou d’intimidations et avaient été accusés de soutenir des « terroristes » lorsqu’ils traitaient les patients en fonction de leurs seuls besoins. Les forces armées ont eu recours à la violence aux portes des établissements de santé, à l’intérieur des services hospitaliers et dans les ambulances sur la route pour tenter d’empêcher les travailleurs de première ligne de MSF de traiter les patients en fonction de leurs besoins médicaux et conformément à l’éthique médicale.
Du point de vue des travailleurs de première ligne, il devient de plus en plus difficile de faire la distinction entre les tactiques des soi-disant terroristes et celles de ceux qui les combattent. Des communautés entières sont privées de soins ou en sont empêchées. Les civils et les combattants sont souvent confondus dans ce qui est considéré par les forces armées comme un seul ennemi hostile. Les forces armées tentent de justifier la privation des civils de leur protection en vertu du droit international parce qu’ils sont des « terroristes » ou des « partisans des terroristes ». Une personne interrogée a déclaré : « Nous les avons vus bombarder la ville pleine de civils, des familles dans leurs maisons ». Les malades et les blessés sont souvent laissés à la souffrance ou à la mort car, comme l’a dit un autre membre du personnel de MSF, « nous ne pouvions pas les atteindre et ils ne pouvaient pas nous atteindre. »
Les civils craignent de se déplacer pendant les guerres antiterroristes. ©Dominic Nahr/ MAPS
L’impartialité, constamment attaquée
Le principe humanitaire d’impartialité - traiter les patients en fonction des seuls besoins - a été identifié par les travailleurs de première ligne de MSF comme étant vital à maintenir et à défendre dans les environnements antiterroristes. Cependant, les participants à l’étude ont également souligné que le fait d’être véritablement impartial est constamment attaqué de manière très réelle et dangereuse. « Il est scandaleux que des États attendent des travailleurs de la santé qu’ils refusent de traiter des patients en fonction de considérations politiques ou militaires », a déclaré Saavedra. « Nos équipes sont considérées par ceux qui mènent des guerres antiterroristes comme faisant partie de leur stratégie militaire ; nous sommes acceptés lorsque nous sommes utiles, mais rejetés lorsque nous sommes considérés comme ne servant pas leur objectif militaire et politique. Nous ne pouvons pas accepter cela - cela nous empêche de traiter les patients et va à l’encontre de tout ce que représente le fait d’être humanitaire. »
Les participants à la recherche ont souligné comment la proximité perçue des acteurs humanitaires avec les États dans les guerres antiterroristes a généré une énorme suspicion de la part des groupes d’opposition armés qui ont souvent rejeté tout engagement avec MSF ou d’autres organisations humanitaires. Actuellement, MSF se retrouve trop souvent cantonné d’un côté d’une ligne de front avec une force antiterroriste qui veut prendre l’avantage et une opposition qui ne veut pas parler ou qui est hostile.
Rapport “Adding salt to the wound”
Légende photo : Ambulance au camp de réfugiés somaliens de Dagahaley, dans le nord du Kenya. © Paul Odongo/ MSF