Construction modulaire et préfabrication, des approches très prometteuses
La construction modulaire se prête particulièrement bien à certains programmes de construction et répond aux défis de la décarbonation
Le rôle de la maîtrise d’œuvre est de concevoir des bâtiments qui apportent « la juste réponse » aux besoins des utilisateurs en tenant compte des enjeux environnementaux et en composant avec les contraintes inhérentes à tout projet. La construction modulaire, parce qu’elle se prête particulièrement bien à certains programmes de construction et répond aux défis de la décarbonation, est déjà - et est amenée à se développer encore davantage – comme un complément précieux à la construction traditionnelle.
Quelle place la construction modulaire et la préfabrication prendront-elles dans les années à venir ? Pourront-elles être un complément à la construction traditionnelle ?
Absolument ! Et elles le sont déjà aujourd’hui. L’évolution démographique et économique de plus en plus rapide de notre société accélère également la demande en logements, en infrastructures publiques (écoles, hôpitaux, etc.) et en espaces pour le travail. Le processus traditionnel de construction est, à l’inverse, complexe, fastidieux et coûteux en temps et en argent. À cela s’ajoutent les préoccupations environnementales et, en particulier les attentes en matière de bilan carbone et d’économie circulaire. Face à ces défis, la préfabrication et la construction modulaire sont des approches très prometteuses.
Quelle différence faites-vous entre préfabrication et construction modulaire ?
La construction modulaire est la suite logique de la préfabrication. Aujourd’hui, bon nombre d’éléments préfabriqués sont intégrés dans nos projets. Il s’agit d’éléments bidimensionnels (des dalles, murs, parois ou éléments de façade complets où sont déjà intégrés les menuiseries extérieures, isolants, pare-vapeurs et bardages) associés à une construction qui est en partie réalisée sur le chantier. La construction modulaire est la préfabrication poussée à l’extrême. Il s’agit de macro-éléments préfa briqués en atelier, hors-site, et qui englobent déjà les techniques, une partie des parachèvements et la menuiserie extérieure. Ces éléments tridimensionnels sont alors transportés et assemblés sur site. Ce sont des éléments sériels, conçus dans un système de trames plutôt rigides, optimisés en fonction des portées de la structure portante (en bois ou en acier).
Les bâtiments modulaires, conçus en tant que constructions permanentes, sont à ne pas confondre avec le terme « container » qui se réfère à des structures provisoires, mobiles. Malheureusement, ils sont souvent assimilés à des structures répétitives bas de gamme, alors que les systèmes d’aujourd’hui permettent d’atteindre les mêmes qualités constructives que les modes de construction traditionnels.
Qu’est-ce qui fait de la construction modulaire une approche d’avenir ?
Un grand avantage de la construction modulaire consiste en un temps réduit de la phase chantier et, par conséquent, en une réduction des nuisances pour le voisinage. Ceci est primordial lorsqu’on construit dans un tissu bâti existant, par exemple sur un site scolaire, où il faut limiter la durée des chantiers pour ne pas trop entraver le quotidien.
En outre, le recours à des processus de fabrication digitalisés permet d’épargner du temps et de la main-d’œuvre. Le secteur de la construction étant en pénurie d’ouvriers qualifiés, ceci peut être un atout qui va encore gagner en importance dans le futur.
Étant donné que les modules sont conçus pour s’adapter à de multiples applications, il est évident que les critères liés au cycle de vie d’un bâtiment, notamment la flexibilité et l’adaptabilité, peuvent être intégrés dès le début. Il en est de même de la réutilisation et de la décomposition des modules, deux critères importants dans les approches d’économie circulaire.
Mais ce n’est pas une réponse unique aux défis actuels et futurs ?
Le choix sera toujours dépendant des caractéristiques du projet. En l’occurrence, la construction modulaire se prête avant tout à des programmes de construction répétitifs, pouvant se conformer à des trames constructives sérielles. Les dimensions des modules sont limitées étant donné qu’ils doivent être transportables, ce qui n’est pas toujours compatible avec la fonction souhaitée. Les réactions à des spécificités du site sont, bien sûr, aussi plus limitées.
En outre, les critères d’adaptabilité, de flexibilité, de réutilisation et de décomposition peuvent également être intégrés dans des projets construits avec des méthodes traditionnelles. Si on compare ce qui peut être comparé, il faut aussi être conscient que la construction modulaire n’est pas forcément moins chère que la construction traditionnelle.
Dans le futur, la préfabrication et la construction modulaire gagneront certes encore en importance. Ceci est intimement lié à la digitalisation et à la rationalisation du secteur de la construction.
Ne risque-t-on pas d’aller vers des bâtiments standardisés ?
Le terme « bâtiment standardisé » a une connotation négative. Je pense que c’est injuste. Si un projet conçu sur base d’un système modulaire donne la juste réponse aux besoins de l’utilisateur et aux défis sociétaux et environnementaux, il n’y a rien de mal. C’est précisément le rôle des concepteurs, architectes et ingénieurs, de synthétiser tous les aspects du projet et de définir une approche intégrale, qui englobe le choix du mode de construction.
Seul bémol : dans cette approche, les concepteurs doivent rester indépendants afin de contrôler et de garantir la qualité architecturale. Un danger pourrait être de devenir tributaires de quelques multinationales industrielles qui définiraient le marché, nous freinant dans nos réflexions et dans notre créativité. Il faut veiller à appuyer les entreprises locales et à favoriser la valorisation de ressources locales afin d’éviter la concentration sur quelques acteurs industriels. Le travail en commun avec notre artisanat national et régional est un point fort de notre pays !
Comment le rôle de l’architecte est-il impacté par ce nouveau mode de construction ?
Le travail de conception ne change pas fondamentalement : la construction modulaire nécessite de penser en systèmes et de prendre en compte les spécificités des systèmes dès les premières réflexions conceptuelles, mais il en est de même pour tout autre critère pouvant influencer un projet. Cependant, il y a un glissement de la charge de travail du suivi de chantier vers la phase de préparation, étant donné que la construction se fait en grande partie en atelier, et non sur chantier. Les moyens libérés en phase chantier sont ainsi investis dans la qualité du projet, qui se fera en amont de la production en atelier.
Est-ce que cela aura une incidence sur la collaboration entre l’architecte et l’ingénieur ?
Afin d’aboutir à un projet de qualité, il faut toujours analyser une multitude d’aspects de la conception : fonctionnalité, intégration urbanistique, langage architectural, confort, efficience énergétique, exigences techniques, sécurité, limitation des coûts d’investissement et de fonctionnement, etc.
Les concepteurs sont membres d’une équipe pluridisciplinaire de maîtrise d’œuvre qui se compose de plusieurs experts - architectes, ingénieurs en génie civil, ingénieurs en génie technique, mais aussi urbanistes, paysagistes, architectes d’intérieur… - afin de formuler des solutions intégrées. Ceci vaut indépendamment de la façon de construire. Nous restons tous ensemble les garants de la qualité.
Et le BIM dans tout ça ?
La préfabrication industrielle et les processus de fabrication digitalisés changent évidemment considérablement l’utilisation du BIM, étant donné que le modèle numérique est transformé en produit. Le BIM devient ainsi une nécessité absolue. La préfabrication et la conception modulaire imposent de tout bien penser et coordonner en amont du chantier, ce qui est d’ailleurs aussi la philosophie de la méthode BIM qui vise à « construire numériquement avant de construire réellement ».
L’utilisation du BIM est donc en totale adéquation avec l’approche de la construction modulaire et ce, sous plusieurs aspects. Comme dit, la modélisation va permettre d’optimiser la conception coordonnée, ce qui est fondamental lorsqu’on veut préconstruire des éléments en atelier. Cette optimisation concerne aussi bien le module / l’élément préfabriqué lui-même - en pensant en 3D les assemblages et les interactions entre les différents éléments -, que le processus de travail, dont on va chercher à anticiper toutes les étapes pour réduire le temps de production. Il est même possible de rentabiliser encore plus l’utilisation du BIM par le pilotage de machines à commandes numériques qui va permettre d’automatiser la construction, avec tous les avantages que cela apporte en termes de délais, de coûts et de qualité.
À l’inverse, la conception par modularité facilite quant à elle la modélisation, puisqu’elle permet d’utiliser des objets 3D eux-mêmes préfabriqués et modulables, notamment grâce à la modélisation paramétrique. Et il ne faut pas négliger les opportunités de cette modélisation paramétrique grâce à laquelle on peut même s’imaginer qu’une partie du travail de conception soit faite par des algorithmes et que le concepteur se focalise sur l’arbitrage des contraintes et la synthèse des solutions.
C’est donc une relation donnant-donnant qui s’installe entre BIM et construction modulaire, permettant de tirer pleinement profit des deux méthodes de travail pour un résultat final optimisé. Il est par conséquent certain que dans le futur, l’équipe de maîtrise d’œuvre se verra élargie par des experts en matière de paramétrage BIM, ce qui est d’ailleurs déjà le cas maintenant.
Mélanie Trélat
Plus d’infos sur www.oai.lu
Interview de Corinne Stephany, Architecte membre du Conseil de l’OAI
Légende photo : Corinne Stephany
Article tiré du NEOMAG#43
Plus d’informations : http://neobuild.lu/ressources/neomag
© NEOMAG - Toute reproduction interdite sans autorisation préalable de l’éditeur