De Belval à Schifflange : Agora, 20 ans de modèle local
Esch-Belval, Esch-Schifflange… Les anciennes friches industrielles continuent leur mue, selon un modèle de partenariat public-privé. Aux manettes depuis 20 ans, et pour encore au moins autant, il y a Agora, joint-venture développée entre l’État luxembourgeois et l’Arbed, aïeule d’ArcelorMittal.
Le 2 octobre 2000 naissait Agora. Arrivée à maturité depuis longtemps, arrivée à l’âge où l’on devenait jadis majeur désormais, la société de développement de Belval poursuit son travail en « modèle luxembourgeois de valorisation des friches ». Le prolongement passe par la mue de l’ancien site sidérurgique d’Esch-Schifflange.
Pour marquer le coup (difficile en 2020 de fêter 20 ans !), Agora - née des amours financières entre l’État luxembourgeois et le géant de l’acier pour donner une seconde vie aux terrains laissés sans activité par l’ancienne Arbed - avait invité Claude Turmes, ministre chargé de l’Aménagement du territoire, Michel Wurth, incontournable président du conseil d’administration d’ArcelorMittal Luxembourg et les bourgmestres des communes de Sanem, Esch-sur-Alzette et Schifflange, à jeter un œil dans le rétroviseur, mais aussi dans la lorgnette pointée sur l’horizon.
Un PPP inédit, une approche pionnière
3 ans après la dernière coulée symbolique du haut-fourneau B de Belval, en présence du Premier ministre de l’époque, un certain Jean-Claude Juncker, l’État, sur base notamment d’un rapport de l’Aménagement du Territoire traçant le dessein des friches, s’associait au groupe Arbed (qui de fusion en absorption, est devenu ArcelorMittal, géant mondial). Une mise à 50-50, pour créer la société de développement Agora. Un PPP (partenariat public-privé) plutôt inédit à l’époque.
Le site de Belval devenait une priorité nationale, au cœur d’une stratégie de reconquête des anciens territoires industriels du sud du Luxembourg.
Avec le potentiel foncier, se dessinait une opportunité de décentraliser et de réaménager le territoire, sujet à la croissance économique et à l’évolution démographique du pays. Claude Turmes avance aujourd’hui que « l’idée même d’utiliser le potentiel offert par les friches pour développer une programmation urbaine au Luxembourg et attaquer le 21e siècle est en soi une évolution très marquante puisqu’intimement liée aux concepts de développement durable, de régénération et d’économie des surfaces. En cela, Agora a été pionnière d’un mouvement qui aujourd’hui, non seulement ne fait plus débat, mais se développe sur de nombreux sites ».
La coopération était inédite, à la mesure des enjeux. « Non seulement la notion d’intérêt général a été posée comme une obligation d’action pour Agora, mais en plus elle a été définie dans les domaines économique, social, écologique, territorial et culturel », poursuit le ministre. Michel Wurth ajoute que « à l’intérêt général, vraiment inscrit dans l’ADN d’Agora, s’ajoute le dynamisme du secteur privé qui oblige à faire preuve de discipline et permet d’accélérer les décisions ».
D’autres se souviendront de moult étapes annexes et dossiers connexes au fil des années, où se sont parfois bousculés la responsabilité sociétale d’ArcelorMittal -qui a grandement contribué à l’essor du pays dans les « golden years » de son industrie-, les tractations sur la valorisation de terrains pollués par des années de sidérurgie ou sur le maintien du siège mondial du géant à Luxembourg quand la plupart de ses dirigeants mondiaux préféraient Londres d’avant Brexit, les échanges en coulisses, les droits d’émission et autres éléments de discussion, d’autres fermetures ou menaces sur des sites historiques...
Les fruits de Belval
Il n’empêche que la méthode et les objectifs convergents ont fait porter des fruits au partenariat. Belval existe et, après 20 ans, plus d’1,1 million de m2 ont déjà été commercialisés sur les 1,35 million de m2 du masterplan, près de 10.000 emplois ont été créés (l’usine comptait 6 à 7.000 postes de travail), l’Université et ses 6700 étudiants internationaux, les centres de recherche, des organes publics, des loisirs en tout genre, des habitants… tout ça vit.
Au moins 5.000 emplois supplémentaires sont encore prévus dans les années à venir. Belval figure à la 5e place des sites tertiaires du pays avec 268.000 m2 de surface de bureaux livrés, pour 250 entreprises et administrations implantées.
Le quartier offre 1.124 unités de logement, pour 3.300 habitants, et les prévisions voient une augmentation des livraisons à plus de 200 unités par an au cours des prochains exercices. « L’objectif initial de 7.000 résidents à la fin de l’aménagement sera atteint, voire dépassé. Dans moins de 10 ans, le site arrivera à maturité et présentera son visage définitif », souligne Agora dans le communiqué diffusé conjointement avec le ministère.
Reconquête
Le territoire aménagé et en mouvement concerne aussi les communes qui en partagent l’espace. Simone Asselborn-Bintz, bourgmestre de Sanem, observe : « le renouveau de Belval a profondément modifié le visage, mais aussi la structure de notre commune. Les doutes du début ont très largement laissé la place à l’enthousiasme. Nous avons préféré le mouvement à la stagnation. Aujourd’hui nous en sortons largement gagnants ».
Pour son homologue d’Esch-sur-Alzette, Georges Mischo, au-delà d’une attractivité et d’une image rehaussées pour la « métropole du Sud - ou du Fer » avec Belval et ses développements, il y a tout l’enjeu stratégique de la reconquête des friches. Et de se tourner vers le défi en cours : le développement de l’ancienne friche d’Esch-Schifflange. « La commune d’Esch, deuxième ville du pays connait une forte expansion. En 20 ans, nous sommes passés de 27 à 36.000 habitants et, comme nos capacités d’extension sont limitées, les friches constituent un enjeu particulièrement important pour nous ».
De fait, il y a près d’un an, les représentants du gouvernement et d’ArcelorMittal Luxembourg, avec les élus d’Esch et de Schifflange, officialisaient la reconversion de l’ancien site industriel d’Esch-Schifflange en un nouveau quartier urbain, confiée à Agora. Pour rappel, ces 61,16 hectares à revitaliser qui sont situés à 91% sur le territoire d’Esch-sur-Alzette et 9% sur Schifflange, représentent également un défi au regard des nouveaux enjeux urbains… et des approches qui ont changé par rapport aux années ‘90.
« Un nouveau chapitre s’ouvre, qui sera l’occasion de donner toute leur place aux solutions innovantes dans les domaines du transport et de la mobilité, de l’environnement, de l’approvisionnement en énergie et de la maîtrise des rejets carbonés, ou encore du logement abordable », souligne Claude Turmes.
Paul Weimerskirch, bourgmestre de Schifflange, conclut : « Ce qui est particulier, et très intéressant, c’est que ce nouveau quartier sera construit avec la participation constante de la population, de sorte que les citoyens pourront contribuer à façonner le nouveau lieu de vie dès le début, apporter leurs souhaits et leurs idées ».
Après avoir rappelé les effets positifs de la reconversion des friches, le bourgmestre de Schifflange pouvait conclure en insistant sur l’approche participative : « Cela vise à apporter des réponses sur les styles et les conditions de vie à proposer aux générations suivantes. Celles qui, dans 20 ans, seront dans l’action et occuperont les lieux ».
Alain Ducat
Photos et vidéo : Agora
(de g. à dr.) Paul Weimerskirch, bourgmestre de la commune de Schifflange ; Simone Asselborn-Bintz, bourgmestre de la commune de Sanem ; Michel Wurth, président du conseil d’administration d’ArcelorMittal Luxembourg ; Claude Turmes, ministre de l’Aménagement du territoire ; Georges Mischo, bourgmestre de la Ville d’Esch-sur-Alzette ; Marie-Josée Vidal, présidente du conseil de gérance d’Agora
Note de la rédaction : Arbed, groupe sidérurgique luxembourgeois fondé en 1911, a fusionné le 18 février 2002 avec l’espagnol Aceralia et le français Usinor pour former le groupe européen Arcelor. Ce dernier à lui-même fusionné en 2006 avec Mittal Steel pour créer le 1ᵉʳ groupe sidérurgique mondial ArcelorMittal