Des matériaux sains pour des maisons saines
Rencontre avec Pit Kuffer, directeur du bureau witry & witry architecture urbanisme, et René Witry, maître d’ouvrage du projet.
Spécialisé dans le domaine de la durabilité depuis plus de 20 ans, le bureau witry & witry architecture urbanisme d’Echternach s’attelle à planifier et à construire avec une approche holistique qui consiste, non plus seulement à créer des bâtiments qui consomment peu d’énergie lors de leur utilisation, mais à adopter un point de vue plus global prenant en compte toutes les phases du cycle de vie de ces bâtiments. Il vient d’achever la construction de deux maisons jumelées à Hersberg (Bech) qui s’inscrivent parfaitement dans cette vision. Ce projet met en effet l’accent sur les matériaux sains et durables.
Des matériaux naturels
René Witry est architecte de formation et cofondateur du bureau d’architecture witry & witry. Après 40 ans, il s’est retiré des activités quotidiennes du bureau d’architecture pour passer du côté des maîtres d’ouvrage. Ce background lui a donné de la latitude quant à certains choix : « En tant que maître d’ouvrage, j’avais la possibilité d’appliquer des produits et matériaux innovants et plus écologiques que les matériaux traditionnels ».
Ensemble avec l’équipe de conception autour de Pit Kuffer, qui a pris la relève du bureau witry & witry, il a choisi de construire avec un maximum de matériaux biosourcés pour réaliser des maisons à émissions CO2 négatives.
Les maisons sont isolées avec des panneaux en fibres d’herbe naturelle, « un matériau intéressant car on peut le cultiver localement et il est disponible en circuits courts, ce qui permet d’éviter de longs transports. Il se renouvelle facilement et il est biodégradable. On peut donc le rendre à la nature ou le réemployer en fin de vie du bâtiment », précise René Witry.
Les murs intérieurs ont été couverts d’un produit minéral naturel : un enduit en argile qui a pour propriété de réguler le taux d’humidité dans le bâtiment et d’y créer un microclimat agréable pour les occupants.
Un mur a été réalisé en terre pisé (terre crue) qui joue un rôle important dans l’inertie thermique : « les maisons peuvent être naturellement refroidies en ouvrant les fenêtres pendant la nuit : la fraîcheur de l’air est absorbée par les murs, puis diffusée tout au long de la journée. Ce système est très efficace pour éviter la surchauffe des bâtiments, en particulier lorsqu’ils se trouvent à proximité des champs, comme c’est le cas de ces maisons », explique Pit Kuffer. « Nous avons même étudié la possibilité d’avoir recours à la terre disponible sur place mais, à cause des chaînes de préparation locales qui ne sont pas disponibles, nous avons utilisé des bandes de terre locale pour l’aspect visuel », mais nous essaierons de mettre cela en œuvre dans un de nos prochains projets ».
De tels matériaux, d’origine naturelle et non traités, n’émettent aucune substance nuisible pour la santé humaine et favorisent le bien-être des occupants.
Dans une optique circulaire, les différents éléments ont été assemblés de manière mécanique dans la mesure du possible afin qu’un maximum d’entre eux puissent être démontés et réutilisés. « Il n’est pas encore possible aujourd’hui de se passer totalement de colles pour des raisons réglementaires et techniques. Mais c’est là que nous voulons en venir : construire des maisons en réduisant le nombre de matériaux utilisés à un minimum avec un maximum de matériaux biosourcés. C’est un processus en développement constant, par exemple, sur nos prochains projets, nous essaierons dans la mesure du possible de substituer les panneaux OSB par des plaques en argile en jouant avec l’épaisseur de la couche d’argile pour être dans la norme des infiltrations d’humidité dans l’isolant thermique », indique-t-il.
Des maisons énergie+
En combinant une bonne isolation thermique, un système de rafraîchissement naturel et des installations techniques efficientes, les maisons produisent plus d’énergie qu’elles n’en consomment. L’équipe de conception a calculé qu’une économie de 400 à 500 euros pouvait être réalisée sur la facture annuelle d’électricité et ce, avant l’inflation du prix de l’énergie.
Au niveau technique, des panneaux photovoltaïques ont été intégrés à la toiture. Autre option innovante : un tissu électrique en fibre de carbone alimenté avec 24 volts et raccordé aux panneaux photovoltaïques, directement intégré dans l’enduit en argile, qui permet de chauffer toutes les pièces sans qu’aucun fluide ne circule dans la maison, et sans aucun entretien. La possibilité de connecter une batterie pour stocker l’électricité produite par les panneaux photovoltaïques a été prévue.
« L’investissement dans la qualité des matériaux est certes un peu plus élevé que pour un projet classique, mais il faut préciser que la mise en décharge des produits toxiques lors du démantèlement d’un bâtiment a aussi un coût, qui risque de flamber à l’avenir comme cela s’est déjà produit en 2016 avec le polystyrène en Allemagne. Il ne faut jamais arrêter d’innover. Il faut oser. Et il faut aussi avoir une bonne relation avec le maître d’ouvrage sans qui rien ne serait possible puisque c’est lui qui doit accepter d’investir quelques pourcents de plus pour pouvoir construire selon les principes de l’économie circulaire. Il faut prendre en compte le cycle de vie entier du bâtiment et pas seulement l’investissement de départ. Nous le constatons sur ce projet : lorsque nous avons commencé à le planifier, nous n’avions pas imaginé une guerre, des pénuries de matériaux et des prix de l’énergie qui flambent », conclut Pit Kuffer, « La construction de maisons à énergie+, ainsi que l’utilisation de matériaux sains, régionaux permettent plus de résilience face aux crises récentes ».
Mélanie Trélat
Extrait du NEOMAG#48
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