
Eis Groussmammen : ces grands-mères qui ont bâti le Luxembourg en silence
Quinze femmes racontent l’histoire de leurs grand-mères dans un livre aussi intime que politique. Porté par l’asbl Femmes Pionnières du Luxembourg, cet ouvrage poignant est un succès inattendu… mais mérité.
« On ne s’attendait pas à un tel engouement », confie Netty Thines, secrétaire de l’asbl Femmes Pionnières du Luxembourg. Et pourtant, Eis Groussmammen – 15 Enkelinnen erzählen von ihren Großmüttern caracole en tête des ventes au Luxembourg. « Le livre est numéro 1 des best-sellers. En deux mois, on a vendu 800 exemplaires sur un tirage de 1.500. »
L’ouvrage, né de la volonté de « rendre visibles les histoires des femmes et leurs réalisations », compile quinze récits profondément personnels, rédigés par des petites-filles luxembourgeoises. Elles y racontent la vie de leurs grands-mères, souvent restées dans l’ombre, mais dont la force, les choix et les parcours ont marqué l’histoire familiale… et bien plus.
« Trop souvent, ces femmes n’ont pas laissé de traces. Ce livre vient combler ce vide. Il raconte des trajectoires de vie, des luttes silencieuses, des actes de courage au quotidien. »
Netty Thines, secrétaire de l’asbl Femmes Pionnières du Luxembourg
Un hommage intergénérationnel plein d’émotion
À chaque page, on ressent l’émotion d’un héritage transmis. Des femmes venues d’horizons divers, confrontées aux guerres, aux conventions sociales, à la dureté du travail, mais animées par une volonté de construire. Certaines histoires évoquent des figures indépendantes, comme Josephine Kaslel-Irrthum, sage-femme engagée, ou Anne Kremer-Feyder, qui osa retourner vivre chez ses parents dans les années 30, refusant un destin imposé.
D’autres racontent des sacrifices silencieux, des choix courageux, des résistances à l’échelle du quotidien. Toutes témoignent d’une même dignité. Le livre, trilingue, mêle luxembourgeois, allemand et français.
« Chaque histoire montre l’évolution des rôles féminins, mais aussi des valeurs et des combats au fil du temps. »
Joëlle Letsch, présidente de l’asbl Femmes Pionnières du Luxembourg
Mais Eis Groussmammen n’est pas seulement un livre sur les grands-mères. C’est aussi une exploration de l’identité des petites-filles, de leur rapport à la mémoire et à l’héritage. Pour écrire, elles ont dû interroger leur propre histoire, confronter leurs souvenirs aux récits familiaux, parfois les remettre en question. Ce travail d’introspection donne une profondeur supplémentaire à l’ensemble.
« L’écriture a permis à beaucoup de participantes de redécouvrir leur grand-mère sous un autre angle », explique Netty Thines. « On ne les voyait parfois que comme des femmes âgées. Mais à travers cette démarche, elles sont redevenues des femmes entières, avec des rêves, des blessures, des choix. »
Une aventure humaine et bénévole
Le projet, initié par Sandie Lahure, Joëlle Letsch, Colette Mart, Netty Thines et Josiane Weber, repose sur un immense engagement bénévole. « Via ma société Mediation dont je suis l’Administrateur-délégué, on a fait les relations presse, la gestion du site, les expos : tout ça pro bono. Il y a eu quelques prestations rémunérées, mais une grosse partie, c’est du don de compétence », explique Netty Thines. La conception graphique a également été assurée par l’agence Médiation.
L’argent récolté par la vente du livre sert aussi à financer les prochaines initiatives. « On offre le livre aux femmes qui ont écrit, à la presse, aux mécènes… et on sollicite des subventions pour lancer de nouveaux projets. »
Lors de la Journée des droits des femmes, le 8 mars, l’association a organisé des lectures dans les communes. Elle prévoit également d’intervenir dans les maisons de retraite, pour faire vivre ces récits auprès des aînés.
« C’est une manière d’ouvrir le dialogue, de créer du lien entre générations. Et les réactions sont très fortes : les gens se retrouvent dans ces histoires. »
Netty Thines, secrétaire de l’asbl Femmes Pionnières du Luxembourg
En toile de fond, c’est tout le travail de l’asbl Femmes Pionnières du Luxembourg qui se poursuit : faire émerger la mémoire des femmes, longtemps laissée dans l’ombre. Expositions, conférences, films, débats… l’association multiplie les initiatives pour inscrire durablement l’histoire des femmes dans le récit collectif.
Et l’aventure ne s’arrête pas là. « Un tome 2 me tente bien », reconnaît Netty Thines. « On aimerait cette fois parler des grands-mères immigrées : italiennes, portugaises, slaves… Il y a encore tant d’histoires à raconter. »
Sébastien Yernaux