L’architecture pour une autre vie en commun ?
Comment l’architecture peut-elle suggérer une alternative pour la vie en commun ? Exemple d’aménagements urbains réalisés pour autonomiser la communauté locale, dans le Detroit d’Ormuz.
L’île d’Ormuz est un ancien port historique situé dans le détroit stratégique d’Ormuz - golfe Persique, au sud de l’Iran. Également appelée « l’île arc-en-ciel », elle présente des paysages surréalistes aux couleurs exceptionnelles, entre nuances de turquoise, de jaune, rouge, vert, or, gris, beige en passant par des ocres somptueux.
Présence à Ormuz est une série d’aménagements urbains réalisés par une institution privée qui a fait appel à l’agence ZAV Architects, dans la perspective d’autonomiser la communauté locale. La deuxième phase est une résidence culturelle polyvalente appelée Majara (aventure) qui lie la vie des habitants et des visiteurs sur le plan culturel et économique.
Dans un pays où l’État est aux prises avec des conflits politiques extérieurs, certains projets d’architecture deviennent des propositions alternatives de gouvernance interne, posant une question atypique : quelles sont les limites de l’architecture et comment cette architecture peut-elle suggérer une alternative pour la vie en commun ? L’architecture possède parfois cette capacité à faire converger les intérêts de différentes parties prenantes : c’est ce que propose ce projet, en réunissant les propriétaires de terrains du port voisin de Bandar Abbas qui organisent un événement annuel de Land Art à Ormuz, les investisseurs de la capitale iranienne Téhéran et les habitants d’Ormuz en tant que partenaires du projet.
Des bénéfices sociaux et locaux
Sans entrer plus en avant dans un discours politique, plus qu’une architecture et face aux sanctions internationales qui frappent l’économie iranienne, le projet offre ainsi plusieurs réponses d’ordre socio-économique : une construction simple et peu onéreuse - bénéficiant au client -, l’affectation d’une part plus importante du budget aux coûts de la main-d’œuvre plutôt qu’aux coûteux matériaux importés, la formation aux tech niques de construction de la population locale, un scénario spatial adaptatif et l’utilisation de matériaux et de ressources humaines iraniens, réduisant les coûts globaux.
La « présence » de Nader Khalili
Présence à Ormuz est moins un objet architectural qu’un processus continu visant à construire la confiance entre individus, afin d’encourager la participation des populations locales et l’inclusion de leurs intérêts dans toute intervention sur l’île. Le projet regroupe une multitude de dômes de petite taille construits avec la technique du SuperAdobe de l’architecte Nader Khalili (1936-2008), une technique innovante et simple utilisant la terre crue et le sable. Les dômes sont des structures familières dans la région. Leur petite échelle les rend compatibles avec les capacités de construction des artisans locaux et des ouvriers non qualifiés, qui ont été préparés à ce projet par de précédents exercices de moindre envergure et qui, aujourd’hui, sont devenus des maîtres maçons.
À propos de ZAV Architects
ZAV Architects, basé à Téhéran et fondé en 2007, tente de repousser les présomptions architecturales afin de créer un espace pour une réévaluation critique des tech niques et des schémas spatiaux. L’alternative de ZAV consiste à absorber les principes sous-jacents de la modernité occidentale, tout en se réappropriant ses propres circonstances culturelles. Dans ce processus, les matériaux et les techniques de construction sont réinventés, recyclés ou up-cyclés.
Retour sur la technique du superadobe
Nader Khalili est l’architecte-inventeur de cette technique de construction ; à la fin des années soixante-dix, il quitte sa vie « américaine » pour parcourir son Iran natal à motocyclette, durant cinq années, à la découverte de l’architecture vernaculaire en terre crue. En 1984, lors d’un colloque organisé par la NASA, il fait sensation en y présentant une solution de constructions lunaires exploitant le sol comme matériau principal. Dès 1991, il fonde Cal-Earth - https://www.calearth. org/ - avec l’espoir de répondre aux nombreuses et répétées crises du logement que connaissent les peuples du monde entier.
Le SuperAdobe est une technique de construction en terre crue parmi d’autres, mais qui ne nécessite aucun coffrage, charpente, échafaudage ou outillage spécifique : un sac longiforme (boyau préfabriqué en polyéthylène) est rempli d ’un mélange de terre et de sable, matières idéalement excavées in situ, et disposé en boudins superposés ; pendant l’exécution, le boyau ainsi rempli est toujours compacté à l’aide de pilons ; entre chaque tas, deux lignes de fils barbelés sont disposées de manière à améliorer la cohésion entre les « boudins ». Des pré-cadres sont insérés aux endroits nécessaires afin de créer des baies pour le portes et fenêtres, et une fois les volumes construits – les systèmes de dômes et de voûtes étant particulièrement adaptés -, les surfaces internes et externes sont enduites, protégeant la matière synthétique des sacs du rayonnement ultraviolet. Des ateliers sont ainsi organisés à travers le monde entier pour permettre aux personnes intéressées de se familiariser ou se perfectionner avec cette technique constructive, virtuellement exploitable partout où le matériau terre est présent !
Régis Bigot, IPM
Article paru dans le NEOMAG#43
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