L’Urban Farming ou l’art de mêler technique et tradition
Réduire les émissions de gaz à effet de serre est une préoccupation internationale de premier plan pour lutter contre le changement climatique. Le secteur de la construction joue un rôle primordial en la matière via la maîtrise éprouvée des techniques de rénovation énergétique, ou de construction durable… Mais d’autres axes pouvant y contribuer de façon significative et venant de bien plus haut se développent aujourd’hui, comme l’Urban Farming. Retour sur le projet de serre urbaine en cours de construction sur le bâtiment de l’IFSB.
Interview de Thierry Collin, Partner Team-Manager, et Sébastien Deroanne, Ingénieur HVAC-Sanitaire chez Betic Ingénieurs-Conseils
Comment le secteur de la construction peut-il aider à lutter contre le changement climatique ?
Thierry Collin : Pour chaque construction, l’objectif final doit être de minimiser l’empreinte écologique et même d’aller au-delà, via une conception à énergie positive. À nos yeux, les bâtiments ne sont pas juste des lieux dans lesquels nous vivons, travaillons, nous restaurons… Ils contribuent à la lutte contre le changement climatique en produisant de l’énergie, en dépolluant l’air…
Sébastien Deroanne : Les serres urbaines, et plus largement l’Urban Farming, participent clairement à cet objectif. Nous travaillons sur l’extension du restaurant d’entreprise de l’IFSB et mettons en œuvre le principe de l’Urban Farming avec la création d’une serre en toiture de près de 400 m2, baptisée Fresh.
L’objectif est de mêler l’agriculture au secteur de la construction en la faisant participer à efficacité énergétique des bâtiments notamment. Ce projet, conduit avec STEINMETZDEMEYER architectes urbanistes, DEFORCHE, l’entrepreneur du projet et spécialiste dans la construction de serre ainsi que le Bureau Ney & Partners pour la statique, permettra de produire à terme près de 10 t. de légumes directement consommés au restaurant, grâce à des techniques de culture comme l’hydroponie ou l’aéroponie. Et, de cause à effet, produire localement permet de promouvoir les circuits courts et de diminuer les émissions de CO2 liées au transport.
Au Luxembourg, plus de 60 ha de toitures ont été identifiés comme pouvant accueillir des serres urbaines.
En quoi ce projet vous tient-il à cœur ?
T C : Le Luxembourg est le premier pays européen s’être doté d’une stratégie nationale en matière d’agriculture urbaine et périurbaine, la Stratégie Nationale Urban Farming Luxembourg, qui fait intervenir la multifonctionnalité de certaines surfaces et notamment les surfaces des bâtiments et nous sommes convaincus de son intérêt.
L’Urban Farming comprend de nombreux avantages à tous niveaux, y compris pour notre métier. Elle remplit des fonctions écologiques telles que la régulation du climat global de la ville, l’amélioration de la percolation des eaux de pluie dans le sol et le ralentissement de leur écoulement, ce qui permet de prévenir les risques d’inondation, de renforcer l’isolation thermique des bâtiments grâce aux murs et toits végétalisés ou encore d’améliorer la qualité de l’air.
Fresh est un projet innovant et diversifiant. Il est le premier de ce type au Luxembourg, et nous sommes donc d’autant plus fiers d’en être partie prenante.
Qu’apporte l’installation d’une serre en toiture en termes de techniques justement ?
S D : L’installation d’une serre en toiture est un projet bien spécifique. Pour Fresh, nous avons choisi des techniques de chauffage peu courantes telles que l’installation de tubes en acier à haute température, disposés sur le pourtour de la serre, en partie basse, qui créent une barrière contre le froid. Nous avons aussi prévu des tubes traversants les plantations afin d’apporter la chaleur au plus près des racines. Ceci facilite la croissance des plants et des fruits, d’autant que certains végétaux comme les tomates ou les fraises ont besoin d’un apport de chaleur conséquent et régulier. Afin de bénéficier d’un système de chauffage performant et écologique, une chaudière à pellets a été installée.
Fresh est en outre équipée de ventilateurs en partie haute de la serre pour éviter la stratification de l’air chaud et le ressouffler vers les plants. Inversement, en cas de forte chaleur, elle bénéficie d’une ventilation naturelle et d’un système de stores installés sur le dessus et les versants de la serre. Enfin, un éclairage spécifique, adapté aux types de culture, a été mis en place.
La particularité du projet est le CO2 des différents espaces du bâtiment qui est récupéré via deux centrales de ventilation installées en toiture et est réinjecté dans la serre. Les plantes se nourrissent du CO2 et le filtrent pour le transformer en oxygène.
On sait que l’agriculture consomme beaucoup d’eau, qu’avez-vous prévu ?
S D : Pour l’irrigation de la serre, un réservoir récupère les eaux de pluie pour alimenter les plantations directement au niveau des racines. Il est aussi tout à fait possible de mettre en place des systèmes de filtration pour traiter les eaux grises et les exploiter dans ce type de projet.
Ces solutions techniques appliquées à l’Urban Farming permettent de réduire sensiblement notre empreinte carbone en limitant l’utilisation de cette ressource naturelle si précieuse qu’est l’eau potable.
Intérêts, freins, de quel côté penche la balance ?
T C : Utilisation de surface « perdue », augmentation de la qualité du bâti, exploitation de l’énergie résiduelle des bâtiments, récupération des eaux grises dans une logique vertueuse, réduction des émissions de CO2, production agricole locale et saine… L’intérêt des serres en toiture est évident même si certains freins sont encore présents pour leur déploiement en masse. Contraintes d’aménagement dans l’environnement urbain au vu des nuisances à considérer (sur-hauteur du bâtiment, éclairage nocturne, reflet du soleil dans les surfaces vitrées…) ou techniques pouvant encore être améliorées pour optimiser les coûts d’investissement, bien entendu il y a encore des freins, mais cela a toujours été le cas pour toute nouveauté. Regardez l’évolution du photovoltaïque entre ses débuts décriés et la pleine adhésion qu’il remporte aujourd’hui. En tout cas, c’est notre philosophie : aller de l’avant, essayer, améliorer les techniques pour qu’à terme leur efficacité soit optimale et contribuer aux enjeux environnementaux de notre siècle.
Article tiré du NEOMAG#39
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