La conception, phase clé pour des bâtiments bas carbone
Après la maîtrise technique acquise en termes d’efficacité énergétique des bâtiments, appuyée par les certifications environnementales comme Lenoz, qui constitue une bonne base pour concevoir des projets d’habitation durables, la prochaine étape sera de réfléchir en termes de cycle de vie, considérer davantage la circularité des matériaux, l’énergie grise qu’ils contiennent et le volet santé.
Interview d’Élise Rein et Martine Schummer, membres du groupe de travail OAI Construction durable – Économie circulaire
Quel rôle les concepteurs ont-ils à jouer dans la réduction de l’empreinte environnementale des bâtiments ?
Élise Rein : La construction sera un des secteurs clés pour atteindre l’objectif de neutralité carbone d’ici 2050 : elle intervient tant sur la performance énergétique des bâtiments, le déploiement des énergies renouvelables que l’électromobilité. Et bien que le Luxembourg frôle l’excellence concernant l’efficacité énergétique des bâtiments, dont la promotion de la production in situ des énergies renouvelables, il doit encore travailler sur l’écologie, l’économie circulaire, la gestion des déchets ou encore la construction saine. Pour se diriger vers une construction plus durable, le rôle des concepteurs sera entre autres de maîtriser les techniques d’assemblage qui facilitent le démontage et le recyclage ultérieur des éléments, ou encore de favoriser les matériaux de construction bas carbone, en privilégiant ceux produits localement (fibres de bois en procédé sec, laine de mouton, miscanthus, blocs de chanvre, isolants en liège, etc.).
Pourquoi est-il important de prendre cette thématique en considération dès la conception ?
Martine Schummer : Une fois un projet de construction lancé, il est complexe et coûteux de changer les principes fondamentaux de la construction comme la volumétrie, l’orientation ou le mode constructif du bâtiment. Nous avons fait l’expérience de passer d’un bâtiment conçu initialement par l’architecte avec une structure en béton à une structure en bois, mais les résultats n’étaient pas satisfaisants. Les prix s’envolaient et la fonctionnalité n’était pas garantie.
E. R. : Autre exemple : la démontabilité, qui est un critère clé dans la durabilité. Si elle n’est pas réfléchie dès le départ, elle est impossible à mettre en place en phase de chantier.
M. S. : C’est pourquoi il est primordial, surtout dans un projet à caractère durable, de définir clairement les objectifs avant de se lancer dans les premières esquisses, mais aussi d’intégrer, dès les premières réflexions, tous les intervenants de la maîtrise d’œuvre (architecte, ingénieurs en génie civil et en génie technique, et experts spécifiques). Une telle approche collaborative permet une planification intégrale et optimisée du projet, ce qui constitue une vraie plus-value pour le maître de l’ouvrage. La réalisation d’un véritable projet durable est seulement possible si les compétences spécifiques de chaque membre de l’équipe de planification sont valorisées dès la naissance du projet.
Quels sont les leviers sur lesquels s’appuyer ?
E. R. : La certification de durabilité luxembourgeoise Lenoz est un véritable guide pour tous ceux qui veulent se lancer dans la construction durable. Bien qu’elle ne concerne à ce stade que les bâtiments d’habitation, il faudrait l’adapter pour les bâtiments fonctionnels. Elle permet d’atteindre un haut niveau d’exigence en termes de durabilité en étant moins lourde que d’autres certifications internationales. Elle s’appuie sur des critères écologiques, de santé et de qualité du bâtiment, ce qui est un véritable plus pour le confort de vie des occupants.
M. S. : Il est effectivement dommage qu’il n’existe pas de cadre comparable à Lenoz pour les bâtiments fonctionnels. Plus généralement, ce qui manque au niveau national, c’est une définition détaillée de ce qui est durable et de ce qui est circulaire. Faute de méthodes et de moyens objectifs pour mesurer la durabilité, l’interprétation peut diverger suivant les différents auteurs de projet et l’appréciation de la durabilité dépend souvent de la promotion que celui qui construit fait vers l’extérieur.
Quels freins rencontre-t-on si l’on veut concevoir des bâtiments qui produisent moins de CO2 ?
M. S. : Le groupe de travail Construction Durable – Économie Circulaire a lancé un appel aux membres de l’OAI pour avoir un retour sur les éléments qui compliquent la vie des planificateurs en la matière. Un des points importants concerne la construction en matériaux biosourcés et notamment en bois où les réglementations de l’ITM, du SNSFP et du CGDIS sont très contraignantes par rapport aux pays voisins. Pour l’instant, nous devons investir beaucoup d’énergie et passer de nombreuses heures pour concevoir un bâtiment durable, ce qui a un coût, et malgré les subsides, cela reste plus cher qu’un bâtiment traditionnel, c’est une réalité.
E. R : Lenoz pour sa part est en train d’être simplifiée pour un meilleur équilibre qualité d’analyse et temps d’investissement. Une multitude de critères seront désormais soumis à une évaluation du type « oui/ non ». Une description sera encore demandée pour les critères nécessitant des informations plus détaillées. La finalité est que construire durable devienne à terme un nouveau standard en construction.
Comment développer des projets avec de la technologie qui a potentiellement un fort impact environnemental alors que les besoins en énergie des bâtiments sont toujours plus réduits ?
E. R : La technologie a toute sa place dans cet horizon décarboné en permettant de substituer les énergies fossiles par des énergies renouvelables. La géothermie, le photovoltaïque… ne sont pas possibles sans technique. La technologie permet aussi de savoir combien l’on consomme, ce qui est un levier important car on ne peut pas diminuer son impact sans le connaître. En tant que concepteurs, notre rôle est de prévoir des techniques efficientes, qui permettent d’atteindre des conditions de confort rationnelles, tout en minimisant le bilan carbone du bâtiment. À l’heure actuelle, l’énergie grise n’est pas assez prise en compte pour les techniques, comme pour le bâtiment en général et, à mon sens, cela devrait être le prochain chapitre pour construire de la manière la plus raisonnée et raisonnable possible. Il nous appartient de sensibiliser le secteur à réfléchir davantage en termes de coût environnemental sur la durée de vie de l’installation, que seulement d’investissement.
Mélanie Trélat
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Article tiré du NEOMAG#38
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Photo Marie-De-Decker