La « feuille » est-elle verte ?
Le ministre Franz Fayot a présenté « Ons Wirtschaft vu muer », la vision gouvernementale « pour une économie compétitive et durable » d’ici 2025… Une feuille de route qui est très numérique et stratégiquement assumée, malgré les éléments de langage.
Quel sera le visage de « notre économie » demain ? La « feuille de route » est tracée et elle a été approuvée par le Conseil de gouvernement en date du 16 juin dernier. Elle est annoncée aussi, communiquée et expliquée, par le ministre de l’Économie, Franz Fayot.
Le contenu, et surtout les actions concrètes qui viendront l’appuyer, seront à suivre de près, et elles seront sans doute débattues aussi, en prolongement des lignes de force, des mots-clés et autres éléments de langage exprimés, par les tenants d’une économie « durable et résiliente », en fonction des acceptions retenues et défendues pour ces termes.
Accompagner la transformation
En conférence de presse, dans les communiqués officiels comme dans les explications données sur une stratégie qui s’exprime en une bonne trentaine de pages, la « vision » et la « voie à suivre » semblent nettes. « Ons Wirtschaft vu muer » entend « accompagner la transformation de l’économie luxembourgeoise à l’horizon 2025 » et se veut une « réponse à la pandémie de COVID-19 et aux vulnérabilités qu’elle a révélées », à travers « la mise en place d’une série d’actions concrètes à court et moyen termes ».
Les leitmotive sont aussi inspirés des « réflexions entamées dans le cadre du processus Rifkin », des « mégatendances globales auxquelles est exposé le Luxembourg », en prolongement des « orientations gouvernementales stratégiques déjà existantes, notamment dans les domaines de l’économie circulaire, de l’intelligence artificielle ou de la digitalisation ».
Voilà les mots lâchés dans la nature, avec trois notions-clés – économie circulaire, intelligence artificielle et digitalisation – qui peuvent résonner différemment selon l’usage. Il est bien précisé que le « document intègre également des mesures contribuant aux objectifs combinés de l’Union européenne que sont la neutralité climatique d’ici 2050 et le leadership mondial de la révolution numérique ». Deux autres mots-clés, même si la révolution numérique et la digitalisation ne forment qu’un seul concept, avec l’intelligence artificielle précitée d’ailleurs.
D’où la question : cette feuille de route est-elle verte, durable au sens des objectifs du développement sociétal et d’une transition écologique ? Les débats viendront peut-être répondre à cette interrogation, à moins que les faits viennent étayer la vision le plus simplement du monde. Pour Franz Fayot, porteur de la mission, « la feuille de route est notre instrument pour concevoir la relance post-COVID et pour rendre notre tissu économique plus résilient d’ici 2025. Elle permet d’accélérer davantage la transition verte et la transformation digitale qui jouent un rôle central pour stimuler le développement au Luxembourg d’une économie compétitive, résiliente et durable, prête à répondre aux défis et aux opportunités futurs. »
6 piliers et beaucoup de données
Six grands chapitres composent la vision stratégique :
- Composante 1 : accélérer la numérisation de l’économie au profit de la société
- Composante 2 : mener la transition vers l’économie circulaire par le numérique
- Composante 3 : développer des chaînes de valeur stratégiques résilientes
- Composante 4 : permettre une transformation sûre et fiable de l’économie des données
- Composante 5 : assurer une transition numérique durable
- Composante 6 : offrir un environnement d’investissement favorable et des instruments permettant d’atteindre une durabilité tout en restant compétitif
Les thèmes sont fédérateurs mais, sans doute, on pourra les trouver peu explicites. Très binaires en tout cas... L’approche nationale privilégie clairement – pour la stimuler - la « valorisation des données ».
Ainsi la feuille de route prévoit 6 actions pilotes, à court terme, « pour apporter un soutien stratégique rapide au tissu industriel luxembourgeois », dont notamment la création d’une « plateforme technologique nationale d’échange, de traitement et de gouvernance des données pour positionner le Luxembourg parmi les pionniers de l’économie des données ».
Ces projets-pilotes sont détaillés dans le document de référence. Les voici :
- Pilote 1 : Plateforme luxembourgeoise de services d’échange de données
- Pilote 2 : Zones industrielles intelligentes
- Pilote 3 : Product Circularity Data Sheet (PCDS)
- Pilote 4 : Chaîne de valeur stratégique régionale dans le diagnostic médical
- Pilote 5 : Approvisionnement numérique
- Pilote 6 : Luxembourg Open Cloud Sécurisé
Big data, données circulaires... et hydrogène
Le « tout numérique » est à la une, ce qui ne l’empêche pas de se tourner vers des objectifs circulaires, à l’image surtout du PCDS (lire aussi ici – et ici). L’économie circulaire, d’ailleurs, aura son propres portail…
On peut préciser, comme le fait le discours officiel, que le Big Data stratégique veut « respecter les principes de la protection de la vie privée et de la propriété intellectuelle » : la plateforme d’échanges de données est là pour inventorier les données mises à disposition des acteurs, privés ou publics, avec les conditions d’accès et d’utilisation ad hoc. « La mise en place de standards d’interopérabilité des jeux de données et une offre d’outils et de services aux acteurs dans le cadre de cette plateforme de données facilitent ainsi l’accès à la chaîne de valeur de l’économie des données ». L’économie réelle pourra se sentir un peu à l’écart…
Notons encore que des « pilotes » se dessinent à moyen terme, mais qu’ils sont tout aussi « digi-centrés ». Il s’agit par exemple d’« accélérer la participation de l’industrie luxembourgeoise aux initiatives de transformation numérique de classe mondiale en participant au programme d’entreprise commune de technologies numériques clés (Key Digital Technologies, KDT) de la Commission européenne ». Ou encore de « développer à l’horizon 2025 un European Digital Innovation Hub (EDIH) d’échelle et de taille, destiné à accélérer la transformation numérique généralisée de l’industrie luxembourgeoise en s’appuyant sur le programme EDIH pour une Europe numérique de la Commission européenne ». Mais aussi de « développer et soutenir la participation de l’industrie luxembourgeoise et des pouvoirs publics aux initiatives ‘’Cloud européen’’ et ‘’Cybersécurité’’ du programme Europe numérique ». Sans oublier de « développer et soutenir les technologies numériques ‘’Testing and Experimentation Facilities’ pour l’industrie luxembourgeoise » avec le programme européen afférant.
Le dernier pilote à moyen terme est cependant plus terre à terre, et touche notamment à la politique de transition énergétique, via ses enjeux industriels : il s’agit de « positionner et soutenir l’industrie luxembourgeoise dans le cadre des toutes récentes Initiatives sur l’hydrogène de la Commission européenne ».
On verra à l’usage comment cette feuille de route qui est très numérique sera stratégiquement assumée, avec ses éléments de langage. L’innovation devra faire la différence, durablement.
Alain Ducat
Photo MECO : Franz Fayot, ministre de l’Économie, aux côtés de Mario Grotz, du ministère de l’Économie.