Le télétravail, de la fiction à la téléréalité
Conférence « Entre reflets & visions, quo vadis Grande Région ? »
L’IGR - Institut de la Grande Région et la Chambre de Commerce du Grand-Duché de Luxembourg, en étroite collaboration avec la Fondation IDEA asbl, la SOLEP et le Comité économique et social de la Grande Région, ont organisé à la Chambre de Commerce une conférence-débat placée sous le thème « Entre visions & reflets, quo vadis Grande Région ? - Le télétravail : de la fiction à la téléréalité ! », en présence de nombreuses personnalités, dont Corinne Cahen, ministre à la Grande Région.
Cette conférence faisait suite à un premier événement qui s’était tenu en novembre dernier et qui portait sur les défis économiques futurs de l’espace économique transfrontalier « Entre reflets & visions, quo vadis Grande Région ? » et qui avait retenu plusieurs axes de réflexion stratégiques communs importants concernant les enjeux économiques majeurs de la coopération transfrontalière à l’échelle de la Grande Région.
Le Grand-Duché de Luxembourg ayant repris la présidence du Sommet de la Grande Région pour deux ans, il semblait dès lors naturel à l’IGR et à la Chambre de Commerce de dédier le thème de cette première conférence de l’année au marché du travail, et plus particulièrement au télétravail transfrontalier. Avec au panel des personnalités du monde politique, économique et entrepreneurial, cette conférence-débat a ainsi permis aux participants de se livrer à un échange d’opinions et à un partage de visions sur la politique de coopération transfrontalière et d’imaginer différents scénarios et configurations possibles pour favoriser l’intégration des territoires transfrontaliers, dans l’intérêt collectif des entrepreneurs et citoyens qui vivent la réalité de la Grande Région au quotidien.
De nombreux sujets et aspects du télétravail ont été abordés touchant autant aux impacts sociaux & technologiques qu’aux nouveaux outils, comportements et pratiques du travail, à la flexibilité, télédisponibilité, productivité, qualité de vie qu’aux bureaux partagés, télécentres, coworking qu’au nomadisme professionnel, au travail à domicile et ses implications fiscales.
Forte d’une population de 11,5 millions d’habitants, de 400.000 entreprises et de quelque 220.000 frontaliers qui passent tous les jours les frontières pour consommer, travailler, ou encore rechercher de nouveaux partenaires d’affaires, la Grande Région est une réalité socio-économique et le plus grand marché du travail transfrontalier au sein de l’Union européenne. Comme l’a notamment souligné Carlo Thelen, directeur général de la Chambre de Commerce lors de son allocution de bienvenue, à l’heure de la Troisième révolution industrielle de l’industrie 4.0, de la digitalisation de l’économie et de nouvelles formes d’organisation du travail qui en découlent, avec tous les risques et toutes les opportunités que cela comporte : « la disruption du monde du travail, avec le potentiel d’une organisation plus flexible du temps de travail et la mise en pratique de nouveaux modes de fonctionnement, nécessite une attention accrue. Dans cette région d’excellence au cœur de l’Europe, la mise en œuvre de projets-pilotes concrets permettra de faire progresser notre microcosme économique en une région-modèle, de laquelle d’autres espaces transfrontaliers européens pourront s’inspirer. S’il sera difficile d’atteindre des résultats au niveau de l’ensemble des cinq régions, la conclusion d’accords entre deux ou plusieurs entités territoriales ne devrait pas être exclue ». Évoquant le discours sur l’État de la Nation prononcé par le Premier ministre luxembourgeois Xavier Bettel, Carlo Thelen a également souligné que des initiatives commencent à voir concrètement le jour. Un groupe de travail dédié au télétravail transfrontalier a récemment été mis en place par le ministre du travail, et de nombreux espaces de co-travail dans les zones périphériques situées à proximité de pôles multimodaux, tout comme des espaces de co-working ou des business centres aux frontières sont actuellement à l’étude.
Après ce rappel, la conférence a débuté par une intervention de Sarah Mellouet et Michel-Edouard Ruben, deux économistes de la Fondation IDEA asbl qui au travers d’une mise en scène ont dégagé de nombreuses idées reçues et études sur les avantages et inconvénients du télétravail. En effet, étant plutôt un sujet d’actualité, le télétravail a pourtant encore beaucoup de mal à percer dans la plupart des entreprises pour lesquelles cette mise en place pourrait être un réel avantage. Souvent mal considérée par les personnes qui ne s’y sont jamais essayées, cette manière de travailler demande une volonté de fer et une forte rigueur. Les deux économistes ont ainsi relevé que le télétravail apporte de multiples avantages aux employés et aux employeurs. Les télétravailleurs sont reconnus comme étant moins stressés par les trajets qui se rallongent depuis quelques années pour de nombreux frontaliers les amenant à être plus efficaces et productifs. Qui plus est, le fait d’être en télétravail permet de mieux gérer le quotidien pour nombre de télétravailleurs. Autant d’arguments contrecarrés par le versant négatif du télétravail. En effet, en contrepartie, le télétravail n’est pas toujours la panacée. Il ne s’adresse pas à tous les employés et est souvent perçu comme un temps de loisir par beaucoup d’employeurs : le plus gros désavantage d’être en télétravail restant le manque d’interaction et l’isolement. Enfin, le télétravailleur pour « lever tous les soupçons » fait encore souvent de l’excès de zèle, qui se traduit dans les faits par un allongement du temps de travail.
De plus, comme l’a rappelé Frédéric Scholtus, Tax Associate Partner chez KPMG Luxembourg, force est de constater qu’actuellement, les exemples de télétravail pratiqués dans le contexte transfrontalier restent limités et sa mise en place ardue, alors que les technologies de l’information facilitent le travail à distance. En l’absence d’un cadre légal approprié et d’accords bi/multilatéraux pour le traitement fiscal et social des frontaliers, le télétravail continue à se heurter à de nombreux obstacles d’ordre juridique et administratif et beaucoup trop de zones d’ombres persistent au niveau de son application sur le terrain. Les risques de protection des données, les complications administratives en matière des cotisations sociales ou la responsabilité en cas d’accident, pour ne citer que quelques exemples, constituent des freins considérables en vue de sa mise en œuvre dans le contexte frontalier.
Nancy Thomas, IMS Luxembourg a ensuite donné quelques exemples concrets de télétravail, de bonnes pratiques et de difficultés rencontrées pour la mise en place du télétravail par les membres de l’IMS et l’organisation elle-même. Annemie Maquil, responsable RH - Prévention, Santé et Diversité auprès de la Ville de Luxembourg, qui concentre à elle seule 40 % de l’emploi du pays alors qu’elle ne représente que 18 % de la population a apporté un autre éclairage sur le télétravail. La Ville de Luxembourg a en effet souhaité proposer le télétravail à ses employés dès 2014, afin de diminuer des temps de trajets et des embouteillages, de réduire certains problèmes de mobilité, voire dans certains cas une réduction de l’absentéisme, les retours des employés sont éloquents puisque les télétravailleurs y voient de nombreux avantages, notamment en termes d’amélioration de l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée. Ce qu’a confirmé Catherine Janot, directrice générale déléguée de la SGBT - Société générale Bank & Trust, qui a également expliqué les procédures mises en place au sein de la banque afin de garantir la confidentialité sur les données sensibles ; le sujet étant souvent un frein à la mise en place du télétravail dans le secteur financier.
Si les bienfaits potentiels du télétravail ont été soulignés, les règles à appliquer doivent tenir compte des besoins réels et de la structure des entreprises. Jeff Weitzel, Vice-Président de la SOLEP - Société luxembourgeoise de la Prospective a rappelé que la flexibilité se développera donc largement en fonction de la taille des entreprises, qui est le plus souvent le principal critère déterminant le choix de la façon à travailler. Il a également attiré l’attention sur le fait que le type d’organisation demande des règles de mises en place strictes afin de garder un juste équilibre entre vie professionnelle et vie privée, demandant à envisager le droit à la déconnexion comme faisant partie intégrante du télétravail. Ce qu’a confirmé Philippe Ledent, vice-président du Comité économique et social de la Grande Région, qui a ensuite posé la question de savoir si à l’heure du tout digital, le sujet n’était pas tout simplement déjà dépassé et si tout le modèle actuel, incluant le changement d’organisation des entreprises, la notion même du travail et de sa reconnaissance n’était pas à repenser entièrement et quels rôles pourraient y jouer l’État et les partenaires sociaux ou la Grande Région qui pourrait se transformer en laboratoire de bonnes pratiques.
Le docteur Pierre Cuny, maire de la Ville de Thionville a conclu les interventions en présentant les perspectives et les solutions à mettre en place de part et d’autre des frontières et les collaborations entamées avec les élus grand-ducaux, tout comme le projet de « hub » à Thionville. L’agglomération de Thionville (Moselle) a validé récemment le principe d’un projet de site de coworking consistant à proposer aux travailleurs frontaliers le télétravail pour pallier les difficultés de circulation vers le Luxembourg. Un premier bâtiment devrait sortir de terre d’ici 2018. Le projet doit comprendre à terme cinq immeubles. Le but étant d’encourager les entreprises luxembourgeoises à ouvrir des bureaux du côté français de la frontière pour favoriser le télétravail des salariés de l’agglomération thionvilloise toujours plus nombreux à emprunter l’A31 saturée ou le train. Malgré les contraintes fiscales freinant généralement les entreprises luxembourgeoises, le projet a reçu un écho positif du côté du Grand-Duché.
La conférence s’est achevée par des discussions très intéressantes de part et d’autre de la salle où chacun a pu donner ses idées et ses pistes de réflexions en vue de construire le marché du télétravail transfrontalier de demain.
Sur la photo (de g. à dr.) Jeff Weitzel, vice-président de la SOLEP – Société luxembourgeoise de la Prospective ; Annemie Maquil, responsable RH - Prévention, Santé et Diversité auprès de la Ville de Luxembourg ; Sabrina Sagramola, gérante Enterprise Europe Network (EEN) Chambre de Commerce ; Sarah Mellouet et Michel-Edouard Ruben, économistes de la Fondation IDEA asbl ; Roger Cayzelle, président de l’IGR - Institut de la Grande Région ; Carlo Thelen, directeur général de la Chambre de Commerce ; Corinne Cahen, ministre à la Grande Région ; Pierre Cuny, maire de la Ville de Thionville ; Nancy Thomas, IMS Luxembourg ; Catherine Janot, directrice générale déléguée de la SGBT - Société générale Bank & Trust ; Frédéric Scholtus, Tax Associate Partner chez KPMG Luxembourg
Source : Chambre de Commerce