Les entreprises sociales et solidaires, plus résilientes en temps de crise
L’économie sociale et solidaire, comme la RSE, ont été reconnues par la Commission européenne comme des leviers de compétitivité économique. Alors que la première place l’utilité sociale au-dessus de tout objectif financier, la seconde garde comme but premier de générer des bénéfices, mais pas à n’importe quel prix. Elles sont donc deux facettes complémentaires d’une économie nouvelle, qui tend vers plus d’humanité, selon Nicolas Schmit, ministre du Travail et ministre délégué à l’Economie sociale et solidaire.
Quel enjeu l’économie sociale et solidaire représente-t-elle pour l’économie luxembourgeoise ?
Le Statec estime qu’en 2011, les entreprises sociales et solidaires représentaient environ 7% des emplois au Luxembourg et il en identifie un peu plus d’un millier, en grande partie des asbl de moins de dix employés. Ce secteur est pourtant diversifié tant au niveau de l’emploi qu’au niveau du statut juridique des entreprises. Si le nombre de petites associations est important, certaines entreprises sociales comptent plus de 250 salariés. La majorité sont actives dans le social -la garde des enfants ou les services aux personnes âgées, par exemple-, mais les activités d’insertion professionnelle jouent également un rôle important : elles occupent plus de 1.600 bénéficiaires, sans compter le personnel d’encadrement.
Soulignons le fait que ces chiffres sont approximatifs, car le concept d’économie sociale et solidaire se définit plus par des principes comme un objectif premier social, la limitation de la distribution des bénéfices aux associés, une gouvernance participative ou une autonomie de gestion, que par des critères précis qui permettraient de délimiter clairement le secteur.
Quel est le potentiel de l’économie sociale et solidaire du point de vue économique, en termes de création d’emplois notamment ?
Si l’on considère que l’Etat soutient fortement le secteur social, en général par des conventions qui régulent notamment le financement, il est clair que l’évolution de l’emploi dans ce domaine dépendra en grande partie de notre politique sociale. Les entreprises sociales et solidaires sont souvent plus résilientes en temps de crise, surtout si elles disposent d’une gouvernance participative qui freine la tendance à la délocalisation. Une étude sur la création d’emplois dans l’économie sociale et solidaire, publiée par l’OCDE en 2013 à laquelle le Luxembourg a participé, retient que, même dans un contexte de crise, les entreprises sociales ont enregistré un accroissement plutôt qu’un recul des emplois. Souvent, elles répondent à des besoins nés avec ou amplifiés par la crise, comme le chômage ou le soutien aux personnes vulnérables.
Comment votre ministère appuie-t-il la création et le déploiement de nouveaux acteurs dans ce secteur ?
Le Ministère soutient des activités d’incubateurs (The Impactory), de coaching et d’accompagnement de porteurs de projets et de start-up (parcours 1, 2, 3 GO Social), de recherche sur des projets innovants (coopération avec le CRP-Henri Tudor dans le cadre de ‘innovationsociale.lu’) ou de coopératives (épiceries sociales Caritas Buttek, Sozial Affair). Il contribue substantiellement aux frais de fonctionnement de l’ULESS, une asbl créée en 2013 qui regroupe les acteurs du secteur, et il est en train d’élaborer, en étroite concertation avec elle, un cadre légal mieux adapté aux besoins des entreprises sociales.
Quelle distinction fait-on entre une entreprise qui applique une politique de RSE et une entreprise sociale et solidaire ? Existe-t-il un lien ou une complémentarité entre ces acteurs ?
Je dirais une complémentarité. Une entreprise ‘classique’, même si elle prend au sérieux sa RSE, garde néanmoins pour objectif premier de générer des bénéfices, tandis que, dans une organisation sociale et solidaire, la mission sociale prime sur la finalité économique : lorsqu’elle génère des bénéfices, ceux-ci sont majoritairement réinvestis dans ses activités. RSE et économie sociale et solidaire ont sûrement des points communs, il ne s’agit pourtant pas de la même chose. Je souhaiterais que chaque entreprise du secteur privé, comme du public d’ailleurs, pratique la RSE.
Comment l’Etat peut-t-il sensibiliser les entreprises à leur impact sur la société et quels leviers peut-il actionner pour les encourager à prendre en compte des critères extra-financiers lors de l’élaboration de leur stratégie ?
Le Parlement européen vient d’adopter une directive qui obligera certaines entreprises à communiquer des informations sur leur politique, les risques et les résultats concernant les questions environnementales, sociales et liées au personnel, le respect des droits de l’homme, la lutte contre la corruption, ainsi que la diversité dans leur conseil d’administration. On revient au concept de bilan social en allant plus loin. J’insiste sur les conditions de travail car les maladies professionnelles se multiplient. En rendant le reporting sur l’impact social et environnemental obligatoire pour les grandes entreprises, les PME prendront conscience que ces aspects peuvent leur permettre de gagner en visibilité et auront une influence croissante sur leur compétitivité. D’un côté, il s’avère que les sociétés qui prennent en considération ces éléments sont souvent mieux gérées et plus compétitives. De l’autre, il y a une évolution de la réglementation sur les marchés publics qui pourront être attribués plus facilement en fonction de critères sociaux ou environnementaux.
Il existe plusieurs organisations privées au Luxembourg qui soutiennent les entreprises dans leurs démarches de RSE et les labellisent. Le rôle de l’Etat ne serait-il pas de chapeauter ces initiatives ?
Les organisations comme l’INDR ou l’IMS sont indépendantes et développent des initiatives de RSE dans le meilleur intérêt de leurs membres. Ceci dit, elles serviraient mal leurs objectifs si elles n’étaient pas conscientes de l’évolution des normes et des initiatives existant dans ce cadre. J’estime qu’il n’y a pas de contradiction entre ces démarches, mais qu’il s’agit plutôt d’étapes vers des performances sociales et environnementales de plus en plus ambitieuses. Je rappelle qu’il y a quelques semaines, nous avons organisé une conférence avec des entreprises pour promouvoir l’emploi des personnes handicapées. C’est un volet important d’une politique visant la non-discrimination et l’insertion de personnes vulnérables. Ainsi, la diversité est un des aspects de la RSE et l’INDR n’a certainement pas élaboré son label sans connaître la norme ISO 26000.
Propos recueillis par MT / Photo ©Marlene Soares pour LG Magazine