Matériaux durables et bien-être : bâtir pour les générations futures
Dave Lefèvre, architecte associé de Coeba, et Anne Stemper, experte en écologie du bâtiment, associée de L’Ikken, explorent comment des choix de matériaux et de conception transforment l’expérience des usagers tout en réduisant l’impact environnemental. Leur vision engageante redéfinit les pratiques de construction pour un avenir humain.
Une nouvelle approche architecturale
« Les matériaux influencent directement le comportement des occupants. » Cette affirmation de Dave Lefèvre trouve un écho concret dans la maison relais d’Angelsberg (dans la commune de Fischbach), l’un des projets phares de Coeba. Conçue à partir d’enduits à l’argile et de bois, cette construction innovante combine durabilité et impact social. « Depuis le déménagement, nous avons reçu des retours confirmant une amélioration positive du comportement de certains enfants et jeunes. Ce projet montre comment l’architecture et les matériaux façonnent leur comportement de manière significative », explique-t-il.
Ce bâtiment n’est pas qu’une construction. Il réunit une école et une maison relais, offrant aux enfants un cadre conçu pour favoriser leur bien-être. « C’était une opportunité d’introduire des réflexions écologiques et des matériaux biosourcés. Le maître d’ouvrage a non seulement adhéré, mais il a souhaité aller encore plus loin. » Ce projet a marqué un tournant pour Coeba, incitant le bureau à systématiser les choix durables dans ses futures réalisations.
Les matériaux entraînent le bien-être
Anne Stemper, spécialiste en écologie du bâtiment, insiste sur le rôle clé des matériaux dans la qualité de vie des occupants. « Dans une construction durable, tout commence par des matériaux sains. Ils doivent garantir une bonne qualité de l’air, un confort thermique optimal, et une acoustique adaptée. »
Cependant, elle met en garde :
« Aujourd’hui, beaucoup de matériaux étiquetés ‘écologiques’ restent nocifs pour la santé. Les composés organiques volatils et semivolatils – retardateurs de flammes, phtalates, biocides etc. – persistent dans les espaces intérieurs, même avec une ventilation performante. »
Anne Stemper, spécialiste en écologie du bâtiment associée de L’Ikken
L’argile, omniprésente dans les projets de Coeba, est selon Dave Lefèvre une réponse idéale à ces problématiques. : « Elle régule naturellement l’humidité et stocke la fraîcheur nocturne. Cette inertie thermique réduit la surchauffe estivale et améliore le confort intérieur. »
En hiver, l’argile agit également comme une barrière naturelle contre l’air sec, préservant un environnement agréable pour les occupants. Anne Stemper confirme. « L’acoustique est un autre avantage des matériaux biosourcés. Dans la maison relais d’Angelsberg, les enfants semblent plus sereins, et l’acoustique pourrait y jouer un rôle majeur. Bien que cela reste à démontrer scientifiquement, l’expérience de terrain est parlante. »
L’écologie face aux défis économiques
Si les matériaux naturels séduisent par leurs avantages, leur coût initial reste souvent supérieur à celui des matériaux conventionnels. « Aujourd’hui, on évalue encore les coûts à court terme », explique Anne Stemper. « Si on inclut le cycle de vie – usage, entretien, déconstruction –, ces solutions deviennent souvent plus économiques. Par exemple, les structures en bois peuvent être démontées et réutilisées, réduisant les déchets et prolongeant la durée de vie des matériaux. »
Pour Dave Lefèvre, cette approche circulaire est cruciale. « L’idée de urban mining consiste à percevoir les bâtiments en fin de vie non comme des déchets, mais comme des banques de matériaux. Ce concept révolutionne la manière dont nous pensons la construction, en transformant une contrainte en opportunité. »
Cependant, les compromis sont parfois nécessaires. Dave Lefèvre évoque un projet où il espérait utiliser des modules 3D en bois entièrement préfabriqués. Ces modules, réutilisables après la fin de vie du bâtiment, s’inscrivaient parfaitement dans cette logique écologique. « Malheureusement, nous avons dû abandonner cette idée à cause des coûts et opter pour un système hybride combinant béton et bois. »
Ce système, bien que moins idéal, a permis de réduire les coûts tout en conservant certains avantages des matériaux biosourcés. « Il faut trouver un équilibre entre innovation et réalisme économique », souligne-t-il.
Une pédagogie au service de la durabilité
L’architecture durable ne se limite pas aux matériaux ou aux technologies. Elle inclut aussi une dimension pédagogique. « Dans nos projets scolaires, nous montrons aux enfants qu’il existe des alternatives au béton et aux produits synthétiques. Ces matériaux naturels leur rappellent leurs racines et les reconnectent à leur environnement », explique Dave Lefèvre.
Anne Stemper partage cet avis : « Le bien-être, c’est aussi l’acceptation du lieu. Lorsque les occupants comprennent comment un bâtiment est conçu et avec quels matériaux, ils s’y sentent mieux. Cette affinité psychologique fait toute la différence. »
Les matériaux biosourcés offrent également un volet ludique. « Les enfants peuvent toucher, modeler et comprendre des matériaux comme l’argile ou le bois. Ce processus éducatif favorise une meilleure appropriation des espaces », poursuit Dave Lefèvre.
Anticiper l’avenir : innovation et réglementation
Alors que les exigences réglementaires en matière de durabilité s’intensifient, les architectes et promoteurs devront repenser leurs approches. « La taxonomie verte, qui établit des critères de durabilité pour les bâtiments, va bientôt s’appliquer aux constructions de toutes tailles », souligne Dave Lefèvre.
Cette évolution pourrait entraîner une hausse des coûts pour les projets ne respectant pas ces normes. « Les taux d’intérêt des prêts seront probablement influencés par le respect de ces critères. » Cela créera une pression économique favorisant les approches durables.
Anne Stemper ajoute que la gestion des ressources sera également un défi majeur. « Même des matériaux renouvelables comme le bois sont limités. Il est impératif de développer des modèles de construction qui privilégient la réutilisation et le recyclage. »
Réconcilier humain et environnement
L’avenir de la construction ne repose pas seulement sur des choix techniques ou économiques, mais sur une vision holistique intégrant le bien-être des occupants.
« L’humain fait partie de la nature. Lorsque nous utilisons des matériaux issus de cette nature, nous créons des lieux où il se sent en harmonie. »
Dave Lefèvre, architecte associé chez Coeba
Ce n’est pas un hasard si les projets les plus réussis de Coeba sont ceux qui associent innovation technique et simplicité naturelle. « Le bien-être ne nécessite pas toujours des solutions complexes. Souvent, ce sont les matériaux eux-mêmes qui apportent des réponses. »
Pour Anne Stemper, cette philosophie dépasse la simple construction. « Il ne s’agit pas seulement de bâtir des bâtiments, mais de bâtir des relations entre les usagers et leur environnement. »
En conjuguant innovation, écologie et pédagogie, les acteurs de la construction durable redéfinissent les normes du secteur. Ces démarches inspirent non seulement un respect accru pour la nature, mais aussi une profonde réflexion sur la place de l’humain dans son habitat.
Sébastien Yernaux
Article tiré du dossier du mois « Mieux vivre »