Mieux vivre, plutôt à Collaborandia

Mieux vivre, plutôt à Collaborandia

Pour aller des cercles vicieux de la croissance débridée aux cercles vertueux d’un bien-être durable, soutenable collectivement et dans une confiance partagée

Francesco Sarracino et le cycle de conférences-débats de « Plaidons responsable » poursuivent l’exploration du lien entre bien-être et durabilité. Plus qu’un lien d’ailleurs, « une nécessaire alliance », qui se démontre, statistiques et analyses socio-économiques à l’appui.

Après avoir revisité l’adage « l’argent ne fait pas le bonheur » et établi les perversités de la relation entre consommation et bien-être, le Senior Economist du Statec est parti à l’assaut de certitudes plus ou moins établies, finalement friables et démontables.

« La croissance économique doit beaucoup à la dégradation de l’environnement », lance Francesco Sarracino face au public, manifestement de plus en plus intéressé et réactif, rassemblé par les équipes de Plaidons responsable by Caritas à la HOST (House of Startups) de Luxembourg pour ce 3e volet en format « lunch-debate » convivial et interactif.

Et l’expert (qui exprime des vues personnelles n’engageant pas son employeur, tient-il à préciser) prend l’exemple des abeilles, reines de la pollinisation dont le travail permet d’assurer un tiers des ressources alimentaires de la planète. Car les ruches souffrent, passant de 6 millions en 1947 à 2,4 millions en 2008. Ce « Colony Collapse Disorder » a réellement menacé l’industrie agro-alimentaire californienne…

« Mais l’homme réagit, pas comme une abeille qui a le sens du collectif, mais comme un chercheur de profit personnel, avec ses solutions individualistes ». Sans les abeilles, la pollinisation utilise des petites mains ou des drones, créant de nouvelles activités, de nouvelles sources de bénéfices et d’inégalités…

« Le réchauffement climatique et ses effets promettent des opportunités extraordinaires pour le business dans les décennies prochaines », souligne Francesco Sarracino.

« La dégradation de l’environnement est à la fois une conséquence et un moteur pour la croissance économique ».

Choisir sa vision

Mais est-ce irrévocable et cela impacte-t-il notre idée du bien-être ? « Une explication traditionnelle à l’insoutenabilité du modèle socio-économique devenu classique, c’est l’avidité de l’humanité ». Le chercheur penche plutôt pour une forme de dualité. « Tout le monde prend a priori en considération l’amélioration des conditions de vie et se préoccupe des générations futures. Mais c’est l’approche des moyens pour y parvenir qui est différente, la vision même de la qualité de vie et du bonheur qui en découle ».

Impayable, la protection des existences prochaines ? Impossible à atteindre sans une dose intense d’obligations et de coercition ? Une autre façon de penser est possible. Et une pensée alternative est déjà un début d’action alternative.

Francesco Sarracino montre deux formes de cités. « Privatopolis » est un monde d’individus. Face à une même menace, qui touche potentiellement tout le monde – les événements climatiques qui engendrent des inondations par exemple -, la réaction va être de se tirer d’affaire soi et ses proches, de se hisser à l’abri, en se hissant socialement et économiquement pour se le permettre. « Il y a foi dans un futur possible, mais pas de conscience collective et pas de confiance dans l’autre et ses possibilités. Il y a accumulation et gâchis de ressources, pour une forme de bien-être qui sacrifiera des relations sociales ». Et le problème de base n’aura fait que s’amplifier.

La vision est tout autre à « Collaborandia », une « cité jumelle », aux soucis identiques mais à l’organisation différente. Les habitants ont développé une conscience collective, une approche collaborative, où chacun avec ses possibilités et compétences mises au service de la cause commune contribue à la création progressive mais efficace d’une solution à plus long terme, durable, soutenable et bonne pour tout le monde.

« À Privatopolis, la croissance économique a bien tiré son épingle du jeu. Du côté de Collaborandia, la croissance est sans doute proche du zéro. Mais dans 30 ans, dans quelle cité préféreriez-vous vivre ? »

Crise de confiance, prise de conscience

La notion de confiance est, ici, centrale. Car il y a une manifeste crise de confiance, assez globale - et l’Europe n’y échappe pas du tout - dans les institutions et les solutions politiques. Les études le montrent clairement et cette crise, observée depuis plusieurs décennies, ne va qu’en s’aggravant. « La méfiance grandit envers les institutions et les politiques qui devraient nous représenter voire nous ressembler. Cette crise de confiance mine la cohésion sociale et limite les opportunités d’action collective et collaborative, et par conséquent favorise la croissance basée sur le profit individuel immédiat. »

S’il n’y a pas de solution individuelle à un problème collectif, il faut, sans chercher à combattre la nature humaine, renforcer la conscience collective à protéger l’environnement, plutôt en promouvant la coopération, la collaboration, l’action collégiale. Et travailler à ce bien-être, notion subjective et multi-facettes selon les ressentis de chacun qui peut devenir objective pour le plus grand nombre.

Croissance verte ?

La croissance verte est-elle un réel atout dans cette quête ? Francesco Sarracino se méfie du mirage. « Les évolutions technologiques font parte de la solution mais elles ne sont pas LA solution. C’est même un gros problème, non soutenable, si les solutions sont guidées par le profit économique au mépris des ressources naturelles et de la biodiversité, indispensable à la vie humaine ».

Et de prendre pour exemple l’industrie minière qui se déplace notamment vers l’exploration des fonds océaniques, à la recherche des précieux minerais et matériaux indispensables à l’électronique. « On n’a pas d’étude d’impact, d’idée précise sur les dégâts causés par les excavations, grattages et autres pompages dans les grandes profondeurs marines. On ne sait pas ce qui se passe, la quantité des ressources qu’on y trouvera ni quel sera l’impact à moyen et long terme, mais on y va quand même, parce que c’est le business ».

On est encore loin d’une société qui réussirait le découplage entre bien-être et argent, dans une vision individualiste et mécaniquement économique des choses. Mais on s’en rapproche quand on y pense et que l’on réagit. « Tout concourt à dire que le bien-être et le développement durable sont parfaitement complémentaires ». La notion même de « bien-être se mesure, une autre narration est possible, et les études montrent la voie des possibles changements d’histoire. Francesco Sarracino et les équipes d’Ana Luisa Teixeira pour « Plaidons responsable by Caritas » y reviendront dans le prochain, et dernier, épisode de ce cycle de conférences.

Ce sera à suivre le 23 novembre, toujours entre midi et 14h, et toujours à la House of Startups – The Big Bang – rue du Laboratoire à Luxembourg.

Alain Ducat

Photos/Illustrations : Caritas Luxembourg / Infogreen / Francesco Sarracino

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Publié le jeudi 10 novembre 2022
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