Parcours et défis : regards croisés de deux femmes directrices dans le social
Lola Artigao et Alexandra Oxacelay sont toutes deux chargées de direction dans le secteur social - l’une au sein du Centre d’Initiative et de Gestion Local (CIGL) Walferdange et l’autre à la Stëmm vun der Strooss. Elles nous racontent leur parcours et leur quotidien.
Comment êtes-vous devenues chargées de direction ?
Alexandra Oxacelay : Complètement par hasard ! En avril 1998, je devais travailler à mi-temps pour le journal de la Stëmm, qui n’existait pas encore. Rapidement, le chef est parti et j’ai pris sa place, sans même avoir postulé. J’ai été accueillie à bras ouverts par les ministères et par le conseil d’administration. Je ne suis jamais partie. Ce poste m’a donné beaucoup de liberté, il m’a permis de m’accomplir.
Lola Artigao : Je travaillais dans le secteur de la formation d’adultes quand j’ai postulé au CIGL de Walferdange. Deux chargés de direction de l’époque ont cru en moi et m’ont soutenue dès les premiers instants, de même que le conseil d’administration. Je remplaçais une autre femme à la direction du CIGL Walfer.
Existe-t-il une approche « féminine » du management ?
LA : Probablement, oui. Pour moi, le management, c’est un mélange d’empathie et de cadre. Je dirais aussi qu’une de nos forces, c’est de savoir nous adapter. On dit souvent que les femmes sont multitâches ; cette capacité est positive dans le management, pour savoir appréhender les différentes personnalités et générations.
Indépendamment du sexe, je pense que j’ai toujours adopté un style très communicatif, très participatif. Si on part de ces concepts, on obtient une équipe. On se réunit d’ailleurs chaque semaine pour croiser les regards.
AO : À mon sens, le caractère de dirigeant, on l’a ou on ne l’a pas, qu’on soit femme ou homme. Certains hommes feraient mieux de ne pas diriger, et il en va de même pour les femmes. On a beaucoup à apprendre les uns des autres.
Cependant, je pense qu’en tant que femmes, nous avons plus tendance à travailler avec les équipes, alors que les hommes vont avancer de leur côté. On va sans doute manager plus à l’horizontal alors que l’homme va diriger de manière plus verticale étant donné qu’il y a toujours ce stéréotype du pouvoir de l’homme. Pour moi, comme pour Lola, le management ne peut être que participatif. Les jeunes vont aussi vers cela. L’ancien style, vertical, il ne fonctionne plus. On entre dans une nouvelle ère, dans laquelle on communique et travaille différemment. Attention, être dans le participatif ne signifie pas non plus qu’il ne faut pas prendre le pouvoir.
Quels obstacles avez-vous rencontrés à ce poste ?
AO : Au départ, j’ai bien sûr dû me faire ma place, montrer de quoi j’étais capable. Je n’avais par ailleurs aucune connaissance en comptabilité, en gestion des budgets.
LA : L’un des premiers challenges a été la fermeture d’OPE (Objectif Plein Emploi, ndlr) environ un an après mon arrivée. Ils ont tout débranché et on a dû repartir de zéro, avec pour seuls soutiens les directeurs des autres CIGL qui se retrouvaient dans la même situation. On apprend vite quand il s’agit d’assurer la survie d’une entreprise !
Ensuite, et je ne sais pas si c’est une difficulté mais au moins un constat : le dirigeant a toujours une position isolée. On a des collègues, mais on reste leur responsable ; il faut créer des liens mais garder une distance saine. C’est une question de posture professionnelle.
Certains obstacles sont-ils liés au fait d’être une femme ?
LA : Il peut y avoir un regard différent de la part des bénéficiaires hommes, dû à un mélange de cultures, de mentalités. C’est aussi un public très particulier, en raison des situations très difficiles - notamment de logement – dans lesquelles sont ces personnes. Elles sont dans la souffrance, le désarroi. L’humain est par conséquent important dans l’accompagnement que nous proposons et l’aide mise en place.
Dans ce contexte, du point de vue relationnel, il peut donc y avoir parfois des bénéficiaires qui font une association inconsciente entre le féminin et le maternel en lien avec ma fonction dirigeante.
AO : Dans un restaurant social, quand il y a des conflits entre deux personnes, ils acceptent moins de se faire remonter les bretelles par une femme– même quand elle mesure 1,84 m ! Je dois m’imposer, leur expliquer que c’est la règle, et que s’ils ne l’appliquent pas je devrai appeler la police. Généralement ils essaient une fois, mais pas plus.
Et puis, en tant que maman solo, il y a aussi ce grand écart entre vie familiale et vie professionnelle. Le téléphone est toujours à proximité et on est sur le qui-vive. Et là on est content d’avoir une équipe sur laquelle on peut se reposer. Quand on est une femme épanouie, on peut être une manager épanouie. C’est aussi grâce aux équipes. Par contre, c’était clair depuis le départ : vous engagez une femme, c’est un package !
LA : Quand on est maman et manager, on ne fait pas tout. Pour moi qui suis quelqu’un de passionnée, je renonce à beaucoup de choses, comme des conférences ou des événements en soirée. Il faut accepter qu’on ne peut pas tout faire. Ce qui est positif, c’est qu’on va valoriser ces aspects chez les autres, en encourageant les congés parentaux, en comprenant qu’un employé doit partir parce que son enfant est malade. On sera probablement moins dans le jugement qu’un manager masculin.
Marie-Astrid Heyde
Photos : Fanny Krackenberger
Article tiré du dossier du mois « Regards de femmes »