Rana Plaza : 10 ans déjà !
24 avril 2013. Il y a tout juste dix ans qu’un drame humain se produisait à Dacca, la capitale du Bangladesh : l’effondrement du Rana Plaza, un immeuble vétuste qui accueillait de nombreux ateliers de confections pour différentes marques internationales. Si 2 500 personnes parvenaient à s’extraire des décombres, 1 135 travailleurs y perdaient la vie.
Une catastrophe qui avait mis en lumière les conditions déplorables des « petites mains » travaillant pour fournir sans interruption le phénomène de fast fashion. Si beaucoup de voix se sont élevées pour dénoncer les conditions de travail et les dérives de la mondialisation, on ne peut pas écrire que beaucoup de choses ont changé au cours de cette décennie.
Même si de nombreuses initiatives ont vu le jour. « Nous étions tous sous le choc de découvrir ces images et ces informations », souligne Geneviève Krol, directrice de l’ONG Fairtrade Lëtzebuerg. « Même si ces conditions pitoyables étaient malheureusement connues, nous étions en colère d’apprendre que beaucoup de victimes avaient signalé la présence de fissures, mais que toutes ont été forcées de retourner travailler dans le bâtiment. En colère, nous voulions crier au monde entier de se réveiller et de regarder ce qu’il se passe dans ces pays. C’est tout simplement de l’esclavage moderne. Il n’y a pas d’autres mots. »
Après le drame, il y a eu des avancées. « En effet, il a déclenché une prise de conscience du grand public. Ce n’était pas le premier accident de ce type. En France, il fut à la base du collectif « Éthique sur l’étiquette » qui a énormément travailler pour faire voter une loi sur le devoir de vigilance. Nous espérons, dans les prochains mois, qu’une telle législation au niveau européen verra le jour. Sur le terrain, il y a également eu ‘’l’accord Bangladesh’’, peu de temps après l’accident. Il oblige une analyse technique des bâtiments, de l’électricité. Il donne aussi la possibilité, aux travailleurs, de se plaindre anonymement auprès des syndicats. »
Une prise de conscience même si, encore aujourd’hui, on avance trop lentement. « Il y a toujours des conditions de travail pitoyables et un non-respect du droit des travailleurs avec des répressions syndicales. Le secteur informel n’est toujours pas mis en lumière, avec ces femmes et ces jeunes filles qui sont enfermées chez elles à coudre des boutons. Elles sont payées à la pièce, un salaire de misère. Il y a encore du chemin pour arriver à des conditions de travail dignes et un salaire vital. »
En effet, aujourd’hui encore, la majorité de ces ouvriers gagne en moyenne 2 à 5 fois moins que le salaire vital nécessaire pour pouvoir vivre dans des conditions de vie décentes. Ceux-ci se retrouvent donc piégés dans une pauvreté perpétuelle, tandis que les grandes entreprises de mode continuent de profiter de leur dur labeur, grâce à l’absence totale d’une législation qui les empêcherait de recourir à de telles pratiques abusives. Ainsi, en 2023 encore, des millions de personnes dans le monde travaillent dans la filière textile pour fabriquer tous les jours des vêtements dans des conditions indécentes à destination de l’Union européenne. En étant le plus grand importateur de vêtements au monde et l’un des plus grands marchés consommateurs de mode, avec plus de 260 milliards d’euros de ventes en 2022, l’UE détient indéniablement un devoir de responsabilité face à ces travailleuses et travailleurs.
Afin d’illustrer ces pratiques abusives perpétuées dans la filière du textile dans le monde, prenons l’exemple du Bangladesh, petit pays asiatique de près de 170 millions d’habitants, et voisin de la puissante Inde. L’industrie textile reste le secteur économique le plus important avec au moins 4 000 usines qui emploient plus de 4,4 millions de travailleuses et travailleurs. Ce secteur de l’habillement génère par ailleurs la plus grande partie des exportations nationales. Le Bangladesh reste aujourd’hui encore extrêmement dépendant de cette industrie. Aujourd’hui, selon l’institut allemand Südwind, le salaire minimum dans l’industrie textile au Bangladesh est d’environ 69 euros, alors que les syndicats réclament une augmentation à au moins 207 euros par mois face à l’explosion du coût de la vie.
1 million de signatures
Le salaire vital est le but de l’initiative citoyenne européenne, « Good Clothes, Fair Pay », soutenue par l’ONG Fairtrade Lëtzebuerg. Une action de sensibilisation était d’ailleurs menée la semaine dernière, en collaboration avec Caritas et sa campagne de sensibilisation « Rethink Your Clothes. Pour qu’elle soit prise en compte par l’Union européenne, il faut 1 million de signatures.
« Malheureusement, au début de l’année, nous n’étions qu’à 120 000 signatures. Nous sommes totalement déconnectés des personnes qui produisent nos vêtements. Surtout que des milliers de kilomètres nous séparent. De plus, le textile et la mode sont assez émotionnels. On s’identifie à nos habits et on n’a pas toujours envie de changer son style. Enfin, il n’y a pas de risque pour la santé des consommateurs. Ces trois éléments sont un frein à cette pétition qui donnerait une voix à tous ces travailleurs et travailleuses fabriquant nos vêtements. Et c’est surtout un moyen de mettre la pression sur les institutions européennes pour qu’elles puissent avancer sur le sujet d’un devoir de vigilance. »
Geneviève Krol ne baisse pas les bras pour autant. « Nous essayons d’impliquer tous nos partenaires engagés dans la filière textile pour qu’ensemble nous puissions porter cette initiative au Luxembourg et interpeller le plus de personnes possible. Atteindre le salaire vital fait partie de notre ADN. Nous avons par exemple des standards très élevés au niveau de la confection textile « Fairtrade Textile Standard » pour la mise en place de ce salaire. »
Aux côtés de l’ONG Fairtrade Lëtzebuerg, on retrouve donc de nombreuses entreprises et organisations luxembourgeoises, qui soutiennent l’Initiative citoyenne européenne « Good Clothes, Fair Pay ». Parmi elles figurent Akabobuttek, Modu Shop, Naturwelten, Mélucéline, Lessure Wear, Hoffmann Thill, Side Lane, les Ateliers Kräizbierg, les Weltbutteker de Luxembourg, Diekirch, Dudelange, Bettembourg et Esch-sur-Alzette, et enfin Caritas Luxembourg et Friendship Colours of the Chars. L’ensemble de ces acteurs se sont donc engagés à sensibiliser leurs collègues, clients, fournisseurs et autres parties prenantes externes à cette thématique cruciale en soutenant cette Initiative citoyenne européenne par la distribution de flyers, outils, et actions de sensibilisation tels que des cours de couture et des workshops thématiques.
Quelles solutions ? Un CEO modèle et un standard textile plus exigeant pour les entreprises !
Face aux comportements irresponsables susmentionnés de nombreux acteurs économiques émergent toutefois. Des entreprises exemplaires qui s’engagent à contribuer à l’instauration et à l’application d’un salaire vital pour les travailleuses et travailleurs, à l’instar de l’entreprise indienne certifiée Fairtrade Purecotz et de son fondateur (et directeur) Amit Narke. Cet éco-entrepreneur passionné, diplômé d‘une licence en ingénierie électronique de l’université de Mumbai, a eu, lors de visites à Nagpur, l’occasion de rencontrer des producteurs de coton biologique dans la région rurale de Vidarbha et de passer du temps avec eux. Il a été touché par l’humilité des agriculteurs et a eu envie de travailler pour soutenir les producteurs de coton. Après avoir commencé à vendre du coton biologique en 1998, il a fondé Purecotz Eco lifestyles en 2000 pour fournir des textiles durables. Aujourd’hui, cette entreprise basée à Umbergao emploie environ 500 personnes, dans le respect des travailleuses et travailleurs et de l’égalité des genres (près de 56% d’hommes et 44% de femmes). Elle figure parmi les premiers fabricants de textiles en coton biologique certifiés GOTS, dans le respect des normes Fairtrade.
En 2019, Purecotz fut le premier partenaire à recevoir la certification Fairtrade « Textile Standard ». Lancé en 2016, le Standard Fairtrade pour le Textile propose une certification sur tous les maillons des chaînes d’approvisionnement, de l’égrenage du coton, jusqu’à la confection finale des produits. À travers une approche holistique, le Standard Fairtrade pour le Textile vise à redonner du pouvoir aux travailleuses et travailleurs du textile et améliorer leurs conditions de travail, notamment via l’engagement de verser un salaire vital pour l’ensemble des travailleuses et travailleurs des usines certifiées endéans une période de 6 ans. Outre l’engagement pour un salaire vital, ce standard vise également à renforcer l’autonomisation des travailleurs, et à renforcer les volets santé et sécurité au travail, conditions d’emploi et protection environnementale.
Agir grâce à un choix conscient et un acte de bon sens citoyen
L’exemple d’Amit Narke et de l’entreprise Purecotz montre bel et bien qu’une volonté individuelle est primordiale dans un premier temps pour remédier à ce problème. Celle-ci doit toutefois être appuyée par une volonté politique européenne (et in fine, mondiale) contraignante pour les entreprises afin d’éliminer toute violation des droits humains, discrimination, violence et exploitation, qui restent des réalités dans l’industrie textile d’aujourd’hui.
Hormis cette double contribution entrepreneuriale et étatique, chaque individu peut également activer son pouvoir d’agir en effectuant des choix conscients dans sa consommation de textiles. Et en donnant un visage aux producteurs et aux travailleurs de l’industrie textile, nous pouvons contribuer activement à une mode éthique et durable.
Pour soutenir cette Initiative citoyenne européenne et signer, rendez-vous sur www.fairtrade.lu
Sébastien Yernaux avec l’ONG Fairtrade Lëtzebuerg
Photos : ©ONG Fairtrade Lëtzebuerg et ©Caritas