Situation du glyphosate et des pesticides de synthèse en Europe et au Luxembourg

Situation du glyphosate et des pesticides de synthèse en Europe et au Luxembourg

Lettre ouverte* à Martine Hansen, ministre de l’Agriculture, concernant la situation du glyphosate et des pesticides de synthèse en Europe et au Luxembourg.

Le 16 novembre 2023, un vote au Parlement européen n’a pas trouvé de majorité qualifiée pour décider d’une interdiction du glyphosate, menant à une prolongation de l’autorisation sur les 10 ans à venir de cette célèbre substance active contenue dans de nombreux herbicides et discutée depuis des années en public de façon critique. Une décision fortement regrettée par la campagne « Ouni Pestiziden » à plus forte raison que de nombreux indices pointent ses effets sur la santé humaine. Depuis que l’OMS a classé la substance comme « probablement cancérigène » en 2015[1] , de nombreuses autres études ont confirmé les risques liés au glyphosate. Sa toxicité pour l’homme a été confirmée entre autres en 2023 par l’étude mondiale sur le glyphosate (GGS)[2] menée par l’institut Ramazzini en Italie, montrant des effets leucémiques, macrobiotiques et endocriniens et ce même à de faibles doses. En 2021, l’INSERM publie des résultats d’une étude[3] mettant le glyphosate en lien avec d’autres pathologies, comme la maladie de Parkinson, des troubles cognitifs, la bronchopneumopathie chronique obstructive, ainsi que la bronchite chronique, tandis qu’une étude[4] de la campagne Glyphosate France a conjointement constaté une « contamination généralisée des Français » (6.781 des 6.795 échantillons d’urine prélevés contenaient du glyphosate, soit 99,8 %). Selon Eurostat[5] près de 45.000 tonnes de glyphosate ont été utilisées en 2021 au sein de l’UE (dont environ 13 tonnes au Luxembourg), un chiffre qui choque face aux données scientifiques pressantes.

Quelques jours après le vote sur le glyphosate, un autre vote au Parlement européen se révèle être un mauvais présage pour le futur des pesticides dans l’Union Européenne : le rejet du texte de la SUR (eng. sustainable use regulation). Ce projet législatif de régularisation des produits phytopharmaceutiques avec l’objectif ambitieux de réduire l’utilisation des pesticides de 50% d’ici 2030 a malheureusement été rejeté par les députés européens, après avoir été vidé de sa substance par la majorité conservatrice au Parlement, une décision qui a bouleversé la communauté scientifique autour du monde[6] . Le mois dernier, les parlementaires ont adopté des modifications à la PAC (politique agricole commune), qui avaient été proposées par la Commission européenne, ouvrant ainsi la voie à un assouplissement des réglementations environnementales dans le secteur agricole. Le glyphosate, de même que toutes les autres substances actives qui constituent la base des produits phytosanitaires, ne cessent alors de poursuivre leur « écocide » en toute impunité.

Ces trois votes ne montrent non seulement l’importance et le pouvoir de l’Union européenne au niveau de la réglementation, de la commercialisation et, enfin, de l’utilisation des pesticides, mais également l’impact considérable de ses décisions sur notre environnement et notre santé. Ainsi, la désignation d’écocide (introduite par la Cour Internationale de Justice lors du célèbre « Tribunal Monsanto » en 2017) reste malheureusement un terme d’actualité en amont du vote européen dans quelques jours. Force est de constater qu’à l’heure actuelle aucune majorité parlementaire au sein de l’UE n’a pu être établie pour voter un texte en faveur d’une véritable réduction des pesticides, une réalité qui laisse un arrière-goût amer en amont des élections européennes du 9 juin 2024. De plus, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen s’est opposée à retravailler le texte en annonçant tout simplement le retrait définitif de ce projet législatif en février 2024. Une décision remettant les comptes à zéro en ce qui concerne une légifération en la matière.

Pourtant, les pesticides continuent à menacer la santé humaine, la biodiversité de nos écosystèmes et nos ressources naturelles, en polluant les eaux, l’air et les sols, dont dépend notre sécurité alimentaire. Ce constat porté par de nombreuses études et rapports scientifiques antérieurs, ne se reflète donc pas dans les législations européennes actuelles. Sachant qu’une première tentative du Gouvernement luxembourgeois d’interdire l’utilisation du glyphosate à partir de 2021 a été renversée suite à une décision de la Cours administrative en mars 2023 majoritairement pour des raisons formelles, il nous semble logique et nécessaire de réévaluer les moyens juridiques afin de pouvoir enfin et définitivement restreindre (voir interdire) l’utilisation du glyphosate et, le cas échéant, d’autres substances actives au niveau national au Luxembourg. Ce processus reste néanmoins possible malgré les autorisations au niveau de l’UE et est même soutenu, en toute hypocrisie, par la Commission européenne, qui a invité les États membres lors de la prolongation du glyphosate à interdire ou à réduire au maximum l’utilisation de pesticides « dans les zones sensibles telles que les parcs et jardins publics, les terrains de sport et de loisirs, les cours d’école et les terrains de jeux pour enfants, ainsi qu’à proximité immédiate des établissements de soins de santé ».

Dans cette même optique, nous rappelons également nos propositions antérieures, notamment en soulignant trois mesures à forte portée symbolique et réalisable à moyen terme, dont (1) l’interdiction des pesticides de synthèse contenants des perturbateurs endocriniens et ayant un effet hormonal négatif, (2) l’interdiction des insecticides contenant des substances néonicotinoïdes hautement toxiques pour les insectes pollinisateurs et les animaux domestiques et surtout (3) le retrait total des pesticides de synthèse destinés aux usages domestiques de confort et d’ordre esthétique. Un tel élargissement des restrictions des produits phytopharmaceutiques sur le domaine privé et les utilisateurs non-professionnels s’avère d’autant plus important en considérant que l’impact environnemental de son utilisation reste considérable et ce en raison du manque de connaissances de la manipulation de tels produits. Ces 3 mesures nous paraissent réalisables à moyen terme et constitueraient la suite logique à l’interdiction des pesticides dans les espaces publics à partir du 1er janvier 2016, jalon crucial ayant été atteint grâce à l’action de la campagne « Ouni Pestiziden ».

Par ailleurs, la campagne « Ouni Pestiziden » rappelle à la Ministre et aux responsables politiques luxembourgeois les engagements du Gouvernement fixés dans l’accord de coalition 2023-2028 de promouvoir « une utilisation durable des produits phytosanitaires » et de favoriser une « élimination progressive du glyphosate au niveau européen et l’abandon volontaire de celui-ci par le biais de subventions » et à se positionner plus clairement dans une stratégie de sortie des pesticides de synthèse au Luxembourg et en Europe dans les années à venir. Ainsi, la campagne invite le Gouvernement à rejoindre le camp des objecteurs à l’utilisation des pesticides et à s’engager à une réduction au niveau national. Ce serait non seulement une réflexion rationnelle et compatible avec le principe de précaution et du développement durable, mais il s’agirait également d’un vote symbolique, traçant ainsi le chemin vers une protection accrue de notre environnement et de la préservation de la biodiversité.

Comme par le passé, la campagne « Ouni Pestiziden » se propose de continuer ses efforts de sensibilisation en la matière et d’aider les particuliers à adopter des pratiques alternatives à l’usage des pesticides. Partant des outils d’information et de sensibilisation développés par la campagne « Ouni Pestiziden » et ses partenaires, nous rappelons aux citoyens l’importance de renoncement aux pesticides. Notre nouveau site internet (www.ounipestiziden.lu) contient une large panoplie d’informations utiles pour faire participer les particuliers aux efforts communs afin de préserver notre environnement et la biodiversité pour nous ainsi que les générations à venir.

* copies envoyées à Serge Wilmes, ministre de l’Environnement, du Climat et de la Biodiversité, à Martine Deprez, ministre de la Santé et de la Sécurité Sociale et aux responsables des partis politiques au Luxembourg.
** La campagne „Ouni Pestiziden“ est une union de 15 organisations orientées vers la protection de la nature et de l’environnement. La liste complète des partenaires et sympathisants de la campagne sous www.ounipestiziden.lu.

Communiqué
Publié le vendredi 24 mai 2024
Partager sur
Nos partenaires