Trilogue européen sur l’approvisionnement responsable en minerais de conflits : l’UE s’apprête à affaiblir (à nouveau) le futur Règlement
Le Luxembourg pour un règlement sérieux, efficace et équilibré ?
Fairtrade Lëtzebuerg en collaboration avec le Cercle de Coopération, Action Solidarité Tiers Monde, Caritas Luxembourg et Bridderlech Deelen demandent au Luxembourg et aux membres du Parlement européen qui participent actuellement au trilogue de ne pas affaiblir encore le futur règlement, notamment en revoyant leur copie sur l’établissement de la « liste blanche » des fonderies et raffineries certifiées « responsables » ainsi que sur la définition des seuils d’exemption pour les « petits volumes » de minerais et de métaux d’étain, de tantale et de tungstène (communément appelés les « 3T ») et d’or. En effet, ces deux mécanismes, tels que discutés dans le trilogue, introduisent de nouvelles failles dans le futur Règlement destiné à lutter contre le commerce de minerais qui finance des groupes armés et des violations des droits humains dans les régions en conflit ou à haut risque, telles que l’Est de la République démocratique du Congo (RDC). Les organisations luxembourgeoises et européennes qui travaillent sur le dossier regrettent aussi la décision prise en juin 2016 de produire une liste indicative des zones de conflit ou à haut risque, dont les effets sur les efforts attendus de la part des entreprises seraient néfastes et qui stigmatiserait, une fois de plus, la République
Démocratique du Congo.
La Commission européenne, le Parlement européen et le Conseil de l’UE sont en passe de conclure, d’ici fin 2016, le trilogue relatif au futur Règlement européen sur l’approvisionnement responsable en minerais. En prévision de la conclusion des discussions techniques sur le futur Règlement prévue pour le 22 novembre prochain et en vue d’éviter un nouvel affaiblissement des normes de l’OCDE (après celui découlant de l’accord politique du 15 juin 2016 entre le Parlement européen et le Conseil de l’UE), Fairtrade Lëtzebuerg, en collaboration avec le Cercle de Coopération, Action Solidarité Tiers Monde, Caritas Luxembourg et Bridderlech Deelen, souhaite attirer l’attention des participants au trilogue sur les principales préoccupations.
Les discussions actuelles concernent essentiellement les détails techniques découlant de l’accord politique de juin 2016 sur ce futur Règlement. Comme déjà dénoncée en son temps, une des principales faiblesses de l’approche décidée en juin 2016 reste qu’aucune mesure pour les importateurs des 3T et de l’or sous forme de produits semi-finis ou finis ne sera incluse dans la législation. Seuls les importateurs de 3T et d’or sous forme brute (minerais et métaux) seront soumis à l’obligation de procéder à la mise en place d’un système d’identification et de gestion des risques (aussi appelé « diligence raisonnable ») dans les chaînes d’approvisionnement.
Les discussions techniques actuelles au sein du trilogue ouvrent la voie à plusieurs nouvelles failles qui risquent d’affaiblir un peu plus l’efficacité générale du Règlement et donc son impact dans les régions en conflit ou à haut risque. D’une part, l’établissement d’une « liste blanche » des fonderies et raffineries dites « responsables » soulève le risque d’un « blanchiment » d’un nombre important d’entreprises dont les pratiques de diligence raisonnable n’auront pas été évaluées ou le seront de manière insuffisante pour être certifiées conformes aux normes de l’OCDE en la matière, normes qui sont pourtant censées constituer le standard minimal à la base du Règlement.
D’autre part, selon l’accord conclu en juin 2016, les entreprises dont les importations annuelles sont inférieures à certains seuils annuels, considérés comme des « petits volumes » marginaux en termes de part de marché, ne seront pas tenues de se conformer aux obligations de diligence raisonnable énoncées dans le Règlement. Les participants au trilogue sont actuellement en train de définir ces seuils pour chacun des 3T et pour l’or et, selon certaines informations, le seuil actuellement mis sur la table des discussions pour l’or importé sous forme de minerais ou de métal serait de 100 kg. « Un chiffre qui a de quoi étonner si l’on considère la valeur que représente 100 kg d’or sur le marché mondial (environ 3,5 millions d’euros) et compte‐tenu de l’objectif affiché du Règlement de limiter le financement des groupes armés et des violations des droits humains par le commerce de minerais. Dans la région des Grands Lacs africains, l’or est certainement celui des quatre minerais visés par le Règlement qui est le plus couramment utilisé comme source d’enrichissement par les groupes armés », selon Jean-Louis Zeien, président de Fairtrade Lëtzebuerg.
Ceci ne vaut pas que pour l’or, puisque d’autres seuils d’exemption discutés actuellement dans le trilogue pour les 3T sont estimés en tonnes et correspondent également à des valeurs de plusieurs millions d’euros.
« Nous demandons aux participants au trilogue de définir ces seuils d’exemption associés aux importations, en fonction de la valeur monétaire et des risques de financement de groupes armés ou de violation des droits humains que ces importations représentent dans les régions en conflit ou à haut risque, et non juste en fonction du volume relatif – certes limité – qu’elles représentent. L’importation de 3 millions d’euros d’or provenant d’une zone de conflit est une opération à haut risque qui devrait faire l’objet d’un contrôle minimum de la chaîne d’approvisionnement », souligne Frédéric Triest d’EurAc.
L’accord politique survenu en juin 2016 prévoit également qu’une liste indicative des zones de conflit ou à haut risque soit produite avec le Règlement. Cette liste conduira à stigmatiser des régions et des pays, notamment l’Est de la RDC, et à dissuader des entreprises de s’y approvisionner. Les partenaires de la société civile congolaise redoutent des inégalités de traitement entre pays/régions, dont la RDC serait de manière quasiment certaine la première à subir les conséquences. En outre, une liste couvrant des pays ou des zones entières ne fournirait pas aux entreprises l’information exacte dont elles ont besoin pour mener à bien une diligence raisonnable efficace et ciblée.
Ces failles du système d’approvisionnement responsable en minerais sont problématiques car, si elles ne sont pas prises au sérieux et résolues par les participants au trilogue, elles pourraient remettre en cause l’efficacité du Règlement et donc le bien‐fondé des intentions de l’UE qui a pourtant à maintes reprises affiché son ambition de briser le cercle vicieux entre le commerce des minerais et la dynamique de violences et d’instabilité en Afrique centrale.
Cohérence des politiques mise en question par ce règlement…
La réponse du ministre Jean Asselborn à une question parlementaire déposée par le député David Wagner de Déi Lénk en juin 2016 souligne que le Luxembourg s’est engagé au cours des négociations au niveau européen « pour un règlement sérieux, efficace et équilibré qui soutienne l’éradication des violations des droits fondamentaux en lien avec l’extraction et le commerce de ces minerais et métaux ».
Malheureusement, cette position louable ne rencontre la réalité que dans une mesure très limitée. En effet, le compromis de l’UE concernant le nouveau règlement ne constitue qu’une première avancée minimaliste. Même s’il convient de saluer le fait qu’un accord ait pu être atteint sous présidence luxembourgeoise, à la suite d’une stagnation de plusieurs années et de négociations controverses, le résultat n’est pas si positif. Car dans le futur, vu l’exclusion des produits semi-finis et finis du règlement et les autres mécanismes actuellement discutés, une grande majorité des consommateurs ne saura toujours pas jusqu’à quelle mesure les minerais de conflit tungstène, étain, tantale et or contenus dans leurs smartphones, ordinateurs portables etc. auront contribué à des infractions aux droits humains. Dans un souci de cohérence des politiques, il convient aussi de prendre en compte les Objectifs de développement durable et la nouvelle stratégie « Commerce et investissement » de l’UE, promouvant les droits humains, un commerce équitable et éthique, un approvisionnement responsable ainsi que le développement durable.
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