« Un moment important dans la réorientation économique de notre pays »
Les bâtiments sont au cœur du processus de Troisième révolution industrielle. D’abord parce qu’ils constituent un levier majeur d’économies d’énergie, ensuite parce qu’ils jouent désormais un rôle actif dans l’écosystème urbain.
Entretien avec Bruno Renders, directeur-administrateur général du CDEC, membre du groupe de travail Building de la Troisième révolution industrielle
Que retenez-vous du processus de Troisième révolution industrielle ?
La Troisième révolution industrielle est un moment important dans la réorientation économique de notre pays, un choix stratégique que je suis le premier à cautionner. Même si toutes ses préconisations ne sont pas transposables en tant que telles au Luxembourg, Jeremy Rifkin donne une feuille de route qui permet de drainer cette réorientation. Ce que je retiens de ce processus est qu’il a permis de réunir autour d’une même table toutes les parties prenantes qui a priori n’ont pas souvent l’occasion de se parler. Il s’agit en l’occurrence d’un bel exemple de processus collaboratif citoyen.
Quel rôle les bâtiments ont-ils à jouer dans cette révolution ?
Le concept de Troisième révolution industrielle ne se réduit pas à un problème d’ordinateurs interconnectés. Il implique de combiner l’infrastructure physique existante aux nouvelles technologies, avec des objectifs énergétiques évidents. C’est dans cette jonction entre le monde réel et le monde digital que les bâtiments trouvent une place probablement plus importante que jamais. Ils ne servent plus simplement à nous mettre un toit sur la tête, mais jouent désormais un rôle actif. Dans ce contexte, le Luxembourg a un avantage par rapport aux autres pays de par la qualité énergétique de ses bâtiments que l’on peut attribuer à l’évolution réglementaire associée à la capacité des professionnels à la mettre en œuvre à l’échelle 1. L’efficacité énergétique est un paramètre sur lequel on peut asseoir des fonctions nouvelles. La plus évidente est la production d’énergie, mais on peut aussi parler de stockage d’énergie, de délestage et de solidarité énergétique via des smarts grids interconnectant les bâtiments, d’agriculture urbaine et de dépollution des villes grâce à ces poumons biologiques que constituent les serres et jardins urbains. Un bâtiment peut également être un élément très symbolique. C’est pourquoi les différents groupes de travail préconisent la réalisation de projets emblématiques de bâtiments et de quartiers intelligents qui apporteront un éclairage tangible aux citoyens sur le sujet, et constitueront un facteur d’attractivité et de nation branding pour le pays.
Quelle est votre vision du quartier de demain ?
Il faut dépasser l’approche purement « geek », de science-fiction, de bâtiments interconnectés et penser les bâtiments et les villes pour ceux qui y habitent ou y travaillent, combiner l’efficacité technologique avec la mixité des fonctions et la mettre au service du lien social. C’est ce que nous appelons Living City. Multiplicité et mixité cohérente et nouvelle des fonctions sont au cœur de ce processus innovant.
Que faire du parc immobilier existant ?
On ne peut pas se limiter à l’assainissement énergétique des bâtiments existants, mais aller vers une smart rehabilitation, c’est-à-dire une rénovation qui prendrait en compte le bâtiment en tant qu’élément d’un écosystème plus vaste - un quartier, une ville - et qui permettrait de lui attribuer une nouvelle utilisation en fonction des besoins de cet écosystème. Une maison peut devenir autre chose qu’une maison et un bâtiment administratif autre chose qu’un bâtiment administratif.
Une des 6 mesures proposées par le groupe de travail Building est de mettre en place une banque de données des matériaux. À quoi servira-t-elle ?
Les bâtiments sont au cœur même de l’économie circulaire en ce sens qu’ils contiennent des ressources qui seront réutilisables dans quelques décennies, au moment de leur déconstruction. Dans un pays qui, par définition, n’a pas beaucoup de ressources naturelles, il est important de valoriser le patrimoine immobilier en tant que base de données technologiques et des matériaux, et d’avoir une traçabilité des ressources effectives des bâtiments.
Une autre est le développement d’une stratégie Building Information Modeling ou BIM. Qu’en pensez-vous ?
Au-delà d’une maquette 3D, le BIM est un outil qui met à profit les nouvelles technologies pour optimiser le processus de construction et l’utilisation des ressources. Il permet de gagner en temps et en efficacité, d’éviter les erreurs et de faire entrer le secteur de la construction dans l’économie numérique. Je suis très heureux de constater qu’il a été retenu comme étant un pilier technologique de la stratégie nationale. Au sein du groupe CDEC et plus spécifiquement de Neobuild, nous travaillons sur des services et sur des formations pour qu’il ne devienne pas une contrainte mais un levier positif d’évolution pour le secteur.
Il a également été préconisé par le groupe de travail Building de déployer l’éducation. Pourquoi est-ce fondamental ?
Paradoxalement, nous sommes en train de poser le cadre dont les générations futures profiteront. Pour le faire intelligemment, nous devons intégrer les jeunes dans les processus de réflexion. Ils ont une vision d’avenir, des usages, des modes de fonctionnement différents des nôtres. La notion de propriété privée, par exemple, n’a plus la même acception qu’autrefois. Vouloir mettre en place un nouvel écosystème rifkinien sans tenir compte de leur avis et sans profiter de leur capacité disruptive serait, à mon avis, une erreur magistrale. C’est pourquoi il faut effectuer un travail de sensibilisation dès l’école primaire et expliquer aux enfants avec des discours simples dans quelle société ils vont évoluer. L’éducation du Smart Citizen de demain se doit d’être appliquée aujourd’hui.
Enfin, pour pouvoir mesurer l’intelligence et la durabilité des bâtiments, le groupe de travail suggère de définir des indicateurs clés. Quels seront-ils ?
Certains sont faciles à déterminer : ce sont des indicateurs technologiques, des objectifs quantifiables comme la mesure du carbone, par exemple. En revanche, établir des indicateurs de qualité de vie n’est pas si simple car on est dans la subjectivité : à quoi mesure-t-on la qualité du lien social, le bien-être ? Or, la Troisième révolution industrielle, ce n’est pas que de la technologie ; c’est s’appuyer sur la technologie pour impacter positivement la vie sociétale et offrir plus de services, plus de confort, de simplicité d’usage, plus de pouvoir d’achat.
Quelles sont les conditions nécessaires au succès cette révolution ?
Sans une certaine flexibilité réglementaire et administrative, tous les efforts des équipes de la Troisième révolution industrielle et toute l’acceptation des acteurs économiques seront vains. Si le cadre n’évolue pas à la même vitesse que le secteur privé, nous nous retrouverons dans une impasse. Mais, étant donné que c’est le Gouvernement qui a décidé d’aller dans cette direction, je pense que l’on peut raisonnablement en déduire qu’il a la volonté d’implémenter une forme de renouveau réglementaire et d’imaginer des chemins administratifs plus simples, plus efficaces et plus en phase avec la Troisième révolution industrielle.
Être capable, dans une Smart Nation, de se doter d’une réglementation où l’innovation technologique et sociétale est au cœur d’un cadre réglementaire adaptable et flexible pour lequel une marge de manœuvre est intégrée et acceptée, est, selon moi, un must !
Mélanie Trélat
Source : NEOMAG
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