Une construction axée sur le cycle de vie : un possible dénominateur commun entre tous les acteurs
La construction génère d’importants flux de matériaux. La production et le transport de ces matériaux sont consommateurs d’énergie et de ressources, renouvelables ou non. Pour rendre notre environnement bâti plus durable, plusieurs leviers peuvent être activés sur l’ensemble du cycle de vie des ouvrages qui le composent. Ceci va de la fabrication des matériaux de construction à la gestion de la fin de vie des constructions.
Rencontre avec Christian Rech, fondé de pouvoir chez Cimalux
En prenant pour exemple le béton, le matériau de construction le plus utilisé au monde, le premier de ces leviers concernera le ciment, composant déterminant tant en termes de performances mécaniques que d’empreinte environnementale du béton. « L’industrie cimentière travaille sur deux grands axes de recherche pour réduire les impacts environnementaux de ses produits : l’évolution des processus de fabrication et le développement de ciments dont la production émet moins de CO2 que les ciments traditionnels », explique Christian Rech, fondé de pouvoir chez Cimalux.
« Nos investissements dans les progrès technologiques nous ont déjà permis de fortement réduire nos émissions de poussières et de NOX. Le recours de plus en plus massif à des combustibles secondaires nous permet par ailleurs de valoriser thermiquement et matériellement en toute sécurité des produits en fin de vie (pneus déchiquetés, solvants, déchets de recyclage, boues d’épuration, etc.). Leur enfouissement est ainsi évité et les stocks d’énergie carbonée telle que le charbon sont préservés. Nous travaillons actuellement au développement d’une méthode de captage de CO2. À terme, ces méthodes devront permettre de réduire drastiquement les émissions de l’industrie en général et de contribuer significativement à l’atteinte des objectifs de l’accord de la COP21 de Paris. Dans le cadre d’autres projets, nos équipes de R & D ont développé un ciment sulfo-alumineux dénommé NEXT BASE, ciment de type CSA émettant 30 % de CO2 en moins lors de sa fabrication. Elles travaillent également au développement d’un processus de fabrication de ciment dit bélitique, permettant d’économiser 20 % de combustible par rapport à un ciment Portland ordinaire. Nous proposons par ailleurs des qualités de ciment dans lesquelles une partie du clinker, matière première dont la fabrication est la principale source d’émission de CO2, se voit substituée par d’autres produits peu émissifs tels que le laitier de haut fourneau et le calcaire. Le CEM III C 32,5 N LH/SR de Cimalux ne contient par exemple plus que 16 % de clinker. Finalement, la mise au point de liants permettant la fabrication de béton à hautes performances permet d’optimiser la section des éléments d’ouvrage et de réduire ainsi la consommation de matériaux tout en rendant les ouvrages plus durables », ajoute-t-il.
D’autres mesures peuvent être prises au niveau de la fabrication du béton. « L’industrie de la chimie est aujourd’hui en mesure de proposer des adjuvants qui permettent l’utilisation de sables qui jusqu’ici n’étaient pas adaptés à la production de béton. Du point de vue des volumes concernés, ces avancées ne contribuent cependant pas de manière déterminante à l’utilisation rationnelle des ressources », précise-t-il.
Qu’en est-il du recyclage du béton ? Selon Christian Rech, « du point de vue économique et vu les volumes de matériaux de déconstruction disponibles au niveau national, il est aujourd’hui plus avantageux de faire du downcycling en transformant ceux-ci à peu de frais, par exemple en 0/50 destiné au remblai ou à la constitution d’assises en substitution de granulats naturels, plutôt que de procéder à un recycling, processus plus onéreux et nécessitant des installations plus complexes en mesure de fournir des granulats aptes au réemploi dans la production de béton. Ces réflexions ne sont évidemment valables que tant que la ressource en granulats naturelle reste disponible en quantité et qualité suffisantes et pour un coût inférieur à celui des granulats recyclés ».
Une autre piste consiste à généraliser le recours à des systèmes constructifs plus efficients, autrement dit d’assurer les mêmes fonctionnalités avec un moindre volume de matériaux. Les systèmes constructifs à ossature de type poteaux-poutres ou les systèmes collaborant acier-béton ou bois-béton en sont des exemples, de même que le recours à des matériaux plus performants tels que les bétons à hautes, voire ultra-hautes, performances évoqués ci-dessus.
Il est également envisageable, en application des principes de l’économie circulaire, de concevoir des éléments constructifs préfabriqués et des systèmes d’assemblage permettant une réutilisation après déconstruction des bâtiments. Comment cependant s’assurer de la compatibilité de ces éléments avec les futurs systèmes constructifs et les exigences normatives applicables ? Quels opérateurs assureront la gestion des stocks de ces éléments et prendront en charge les coûts qui s’y rapportent ? « Un bâtiment a une durée de vie de plusieurs décennies et il faut, pour pouvoir le déconstruire de manière efficace et structurée, être en mesure de savoir quels types d’éléments y ont été mis en œuvre, quelles sont leurs performances et dans quel état ils se trouvent après 30 ans d’utilisation. C’est pourquoi il faudrait instaurer une sorte de passeport du bâtiment. Ensuite, après déconstruction, il faut tenir compte du fait que ces éléments ne vont probablement pas être immédiatement intégrés dans un nouveau projet : il faudra d’abord les nettoyer, éventuellement les réparer, les inventorier et les stocker. Il faut aussi que ces éléments soient compatibles avec ce qui se fera dans 30 ans, ce qui implique une standardisation généralisée sur le long terme. Et, à nouveau, est-ce que les frais liés au démontage, au nettoyage, à la vérification et au stockage ne rendront pas le modèle économique caduc ? », se demande Christian Rech. « Comment s’assurer de la proportionnalité entre les moyens mis en œuvre et la plus-value apportée, tant du point de vue économique qu’environnemental et sociétal, quand chaque bâtiment est un prototype et que la chaîne de financement, de conception, de construction et d’exploitation est constituée de différents acteurs : maîtres d’ouvrage, investisseurs, financiers, programmateurs, architectes, bureaux d’études, entreprises, utilisateurs, etc. Quel modèle permet de s’assurer que l’ensemble des coûts et impacts d’un bâtiment ou d’un aménagement sont supportés de manière équitable et de sorte que l’optimum soit recherché sur l’ensemble de son cycle de vie ? ».
« Les solutions que nous devons développer ne concernent pas seulement la technologie, mais également les modèles socio-économiques applicables à l’ensemble des acteurs afin de faire de la construction axée sur le cycle de vie un dénominateur commun », conclut-il.
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