L’application du BIM au niveau de la maîtrise d’œuvre
Interview de Marco Da Chao, cadre dirigeant et chef de service BIM et Project management, et Jacques Seywert, administrateur et chef de service Bâtiments chez Schroeder & Associés.
Les cas d’usages standard du BIM (entre autres de conception, collaboration, revue de projets, contrôle qualité, fourniture de livrables) maîtrisés, Schroeder & Associés approfondit désormais quelques cas d’usages spécifiques dans un travail collaboratif qui implique l’ensemble des domaines gérés en tant que maîtrise d’œuvre (structures, infrastructures et services) et avec une vision holistique du projet, c’est-à-dire du bâtiment dans son environnement. L’objectif : intégrer le BIM dans l’ensemble de ses activités d’ici fin 2023.
Quel est l’avantage de l’utilisation du BIM au sein de la maîtrise d’œuvre chez Schroeder & Associés ?
Jacques Seywert : Le but du BIM est de réduire les risques liés à la planification en établissant une meilleure prévision des quantités et des coûts et d’éviter les surprises sur chantier. L’avantage est que même si chacun au sein de la maîtrise d’œuvre a des intérêts différents, nous gagnons tous ensemble par le biais du BIM car les échanges, la coordination, la structuration et la qualité des études se trouvent améliorés.
Pourquoi vous être intéressés à des cas d’usages spécifiques ?
Marco Da Chao : Pour aller au-delà de ce que la méthode traditionnelle peut apporter. Nous ne faisons pas du BIM pour faire du BIM. La maîtrise de la méthode sur des cas d’usages dits de base nous permet certes d’optimiser notre fonctionnement, mais le projet et le client restent au centre de nos réflexions et cette méthode innovante nous permet de proposer de nouvelles solutions spécifiques pour apporter des réponses là où la méthode traditionnelle échoue par son manque d’outils.
Quels sont ces cas d’usages spécifiques, par exemple ?
JS : Dans la construction industrielle, nous sommes souvent exposés à des contraintes d’espace lorsqu’il s’agit d’ajouter des ouvrages supplémentaires au sein d’infrastructures déjà en place : câbles électriques, ponts, passerelles, etc. Aujourd’hui, nous avons chez Schroeder & Associés un grand parc d’équipements dernier cri offrant la possibilité de réaliser un scan 3D de la zone au moyen d’un drone et au niveau du sol. Ce scan nous fournit un nuage de points, traité par nos géomètres, qui sera intégré dans l’environnement BIM. Le nouveau projet sera conçu à l’intérieur de ce nuage de points ce qui prévient les conflits potentiels qu’il pourrait engendrer. Cette opération est réalisée en collaboration entre notre équipe de topographie et notre équipe de conception de structures. L’idée étant d’intégrer le projeté dans l’existant et ne pas uniquement se concentrer sur un projet réalisé sur terrain vierge.
MDC : Dans le cadre de projets plus linéaires comme une route, la réalisation d’un phasage 4D - fusion de la chronologie avec le phasage -, nous pouvons détecter des interférences et optimiser notre conception en détectant des anomalies difficilement appréciables sur un phasage 2D. En plus de nous permettre d’établir un budget et une chronologie du chantier les plus réalistes possible, cet usage spécifique nous permet d’en simplifier la compréhension en associant ces éléments à quelque chose de visuel.
JS : Cette superposition de différentes méthodes que nous avons mises en application ces dernières années - d’une part, le scan 3D et le nuage de point au niveau de la topographie et, d’autre part, l’acquisition du savoir-faire dans la modélisation - nous procure des visualisations intéressantes que ce soit pour le maître d’ouvrage car elles lui permettent de mieux comprendre le projet ou pour le maître d’œuvre car elles lui permettent de mieux comprendre les problèmes. Cela permet aussi d’échanger de manière beaucoup plus structurée qu’auparavant. On avise via des flux de travail digitalisés le partenaire ou le concepteur interne d’un problème, il réagit, propose des solutions, le corrige et le résout directement sur la maquette digitale.
Quelles sont les prochaines étapes ?
MDC : Nous avons pris la décision de passer à du 100 % BIM d’ici fin 2023. La méthode BIM peut être appliquée à chacune de nos activités et optimiser leur qualité et leur rendu. Le fait que chacun de nos différents services ait déjà avancé dans sa propre direction nous a permis de découvrir qu’en se mettant ensemble autour de cette maquette, nous pouvions atteindre des objectifs que nous n’atteignions pas auparavant. De là également, la nécessité de développer des cas d’usages spécifiques qui correspondent aux prestations particulières que proposent nos différents services.
Par exemple, nous avons commencé à appliquer les phasages 4D en juin 2022 sur un projet de campus scolaire et cela donne déjà des résultats positifs. Sur ce site, se trouvent des bâtiments et des infrastructures (gare routière, chaussées, aménagements extérieurs, etc.) existantes. En regroupant les expériences et les savoir-faire de chacun, nous sommes parvenus à proposer une solution de phasage 4D avec un niveau de qualité que nous ne pouvions pas donner avant. Nous avons intégré des simulations de flux piétons et routiers dans la maquette pour avoir un suivi précis de la logistique et identifier des problématiques de signalétique, d’acheminement ou de livraison qui seraient incohérentes. Cela nous a permis de remarquer que des phasages qui étaient prévus en méthode traditionnelle ne fonctionnaient pas.
2022 a été un virage important au niveau de l’application des cas d’usages spécifiques. Nous allons continuer à les développer et en trouver des nouveaux. Nous travaillons, par exemple, sur l’économie circulaire, les études environnementales, etc. car nous sommes conscients que ce sont des problématiques actuelles et futures : les difficultés de mise en décharge, de fourniture de matériaux ou les problèmes sociopolitiques ont un impact évident sur la construction au niveau national. Nous avons, chez Schroeder & Associés, des spécialistes environnement dont nous avons additionné les compétences avec celles de nos spécialistes structures et infrastructures et avec celles de l’unité BIM pour produire des études et déterminer des solutions. La méthode BIM nous permet de centraliser toutes ces compétences autour d’un modèle et d’en découvrir de nouvelles synergies transformées en cas d’usages spécifiques.
JS : Pour être concret, extraire les quantités du modèle nous permet certes de déterminer des coûts très réalistes pour le projet, mais d’aller plus loin et de déterminer l’empreinte carbone des matériaux et de l’objet construit, donc de réaliser, dans une 1re phase, des études de variantes, d’évaluer celle qui pourra être la plus bénéfique en termes de bilan carbone et, à partir de là, de faire des propositions au maître d’ouvrage. In fine, cela peut être utile dans le cadre de certifications environnementales des bâtiments, point que nous maîtrisons aussi au sein de notre bureau.
MDC : Par ailleurs, pour que les cas d’usages de base mais surtout les cas d’usages spécifiques fonctionnent, il faut avoir une approche pragmatique des paramètres qui doivent être ajoutés à la maquette. Ceux-ci doivent être définis en fonction de la finalité. Ce pragmatisme n’est donné que si les paramètres proposés le sont par des experts du domaine. Le BIM nous aide à centraliser le tout, à obtenir plus aisément des résultats, mais il faudra toujours une personne qui gère les paramètres et interprète les résultats. Notre objectif est de regrouper toutes nos activités de conseil au sein de la méthode BIM et d’offrir un service complet et unique, qui répond aux besoins.
JS : Du côté des structures portantes, nous profitons aussi de la modélisation BIM qui est aujourd’hui bien plus complète que par le passé pour améliorer davantage encore la qualité de nos simulations. À titre d’exemple, la combinaison entre l’ingénierie paramétrique pour l’étude de géométries complexes et les modèles de calcul et les maquettes BIM permet une compréhension aisée des structures et un échange facilité avec le client. L’analyse de l’évolution des capacités structurelles des constructions en fonction des températures face à des situations de feu réel en est un autre exemple. Aujourd’hui, nous pouvons profiter d’échanges semi-automatisés entre les maquettes BIM et les modèles de calcul en éléments finis. Cela nous permet de fermer la boucle entre conception architecturale, calcul structure, calculs spécifiques (comme la résistance au feu naturel), de restituer ces données aux auteurs du projet et de coordonner ainsi les différents paramètres du projet.
Qu’en est-il de l’utilisation de la méthode pendant la phase d’exécution des travaux ?
JS : La 4D dans le BIM commence par l’anticipation du phasage du chantier dans la phase études et se termine par le suivi de l’exécution du chantier. On relève les problèmes détectés sur chantier dans la maquette numérique, on les localise, les horodate et on détermine le type de problème, puis on échange avec l’entreprise qui apporte les corrections nécessaires, on acte ensuite ces corrections de façon numérique, ce qui nous permet d’avoir en fin de chantier, respectivement pour l’exploitation de l’ouvrage, un relevé détaillé des réserves émises sur le projet et l’historique de la gestion de ces réserves.
Quels moyens mettez-vous en place pour atteindre le niveau que vous vous êtes fixé ?
MDC : Nous sommes en cours de certification ISO 19650. Nous avons mis en place une structuration interne de nos différentes activités, bâtiments (structures) et infrastructures, pour que tous nos collaborateurs parlent la même langue. Nous avons aussi mis en place des formations internes ciblées et concrètes, données par des personnes qui utilisent la méthode et la partagent avec leurs égaux. Enfin, nous nous dotons des équipements nécessaires : des scanners assez précis, un très large panel de softwares avec des personnes qui les maîtrisent. Bien sûr, le rôle des maîtres d’ouvrage est primordial : sans maîtres d’ouvrage qui regardent vers le futur, nous aurions du mal à avancer dans ce sens.
Mélanie Trélat
Extrait du NEOMAG#50
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