
L’Europe monte au créneau face aux géants américains et chinois
Du 6 au 11 février 2025, Paris fut l’épicentre mondial de l’intelligence artificielle en accueillant un sommet réunissant 1.500 participants issus de près de 100 pays. Cet événement marque un tournant stratégique pour l’Europe, qui veut s’imposer comme un acteur clé de l’IA tout en garantissant une approche éthique et durable.
Face à la domination des États-Unis et de la Chine, l’Union européenne a frappé fort avec l’annonce d’un investissement massif de 200 milliards d’euros dans l’intelligence artificielle. Ce plan, dévoilé par la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, lors du sommet, vise à positionner l’Europe en leader de l’IA grâce à un partenariat public-privé inédit regroupant plus de 60 entreprises sous l’initiative « EU AI Champions Initiative ».
« Trop souvent, on entend dire que l’Europe est en retard, mais la course à l’IA est loin d’être terminée », a affirmé Ursula von der Leyen. Avec un accent mis sur les gigafactories et le développement de modèles d’IA souverains, cette initiative pourrait bien rebattre les cartes du leadership technologique. Le Luxembourg accueillera l’une des sept premières AI Factories européennes.
Alexei Grinbaum : « L’IA générative de 2021, c’est de la Grèce antique ! »

Le 6 février, durant l’émission « Zoom Zoom Zen » (France Inter), en marge du sommet, Alexei Grinbaum, directeur de recherche au CEA Saclay, expert en éthique du numérique et conseiller éthique dans quelques projets du Luxembourg Institute of Science and Technology (LIST), a souligné l’évolution fulgurante de l’IA ces dernières années : « L’IA générative de 2021-2022, c’est vraiment l’antiquité. Nous sommes désormais dans une nouvelle ère avec les modèles de raisonnement, qui améliorent considérablement la qualité des réponses produites. L’arrivée de ces nouveaux modèles réduit drastiquement le phénomène des ‘hallucinations’ de l’IA - réponses fausses ou trompeuse qui sont présentées comme un fait certain - et améliore la fiabilité des résultats, ouvrant la voie à des applications plus sûres et performantes. »
Un Institut français pour l’évaluation et la sécurité de l’IA
Autre annonce clé du sommet : la création de l’Institut national pour l’évaluation et la sécurité de l’intelligence artificielle en France. Cette agence, qui s’inspire de modèles existants aux États-Unis et au Royaume-Uni, jouera un rôle central dans la régulation des systèmes d’IA.
« Il faut tester ces modèles avec des benchmarks standardisés. L’Europe a choisi de s’engager dans cette voie, mais les résultats restent à voir », analyse Alexei Grinbaum.
Si cette initiative montre la volonté de l’Europe d’encadrer l’IA, la lourdeur administrative pourrait freiner les petites entreprises, obligées de naviguer à travers une réglementation complexe.
IA et durabilité : une déclaration pour un futur inclusif
Le sommet a également été l’occasion pour le Luxembourg et 60 autres pays de signer la Déclaration sur une intelligence artificielle inclusive et durable pour les peuples et la planète. Ce texte ambitieux repose sur trois piliers :
- L’accessibilité de l’IA pour combler la fracture numérique
- Une gouvernance éthique et sécurisée de l’IA
- Le développement d’une IA durable, respectueuse de l’environnement et des droits humains
L’objectif ? Assurer que l’IA bénéficie à toutes les populations, et pas seulement aux grandes puissances technologiques.
Mistral AI et les modèles alternatifs : la stratégie européenne
Loin de vouloir rivaliser directement avec les géants comme OpenAI ou Google, l’Europe mise sur des modèles plus spécialisés et moins gourmands en ressources. Mistral AI, fer de lance de cette approche, développe des solutions plus légères et adaptées à des usages spécifiques, comme l’éducation ou l’administration publique.
« Nous sommes un petit pays par rapport aux États-Unis ou à la Chine, mais nous avons les capacités pour créer des modèles de haute performance adaptés à nos besoins. »
Alexei Grinbaum
Vers une nouvelle ère de l’IA avec les agents LLM ?
L’une des grandes tendances de 2025 réside dans le développement des agents LLM (Large Language Models), qui ne se contentent plus de répondre aux questions, mais exécutent des actions autonomes.
« Ces agents peuvent réserver des billets, faire des recherches scientifiques ou même assister les médecins. C’est une révolution dans notre façon d’interagir avec l’IA », explique Alexei Grinbaum.
Cette innovation, déjà en plein essor aux États-Unis, pourrait transformer de nombreux secteurs, de l’e-commerce à la médecine, en passant par l’éducation et le service client.
L’Europe peut-elle vraiment rattraper son retard ?
Si l’Europe affiche de grandes ambitions, plusieurs défis restent à surmonter, selon l’expert :
- Une réglementation stricte qui pourrait freiner l’innovation
- Un écosystème technologique fragmenté face aux mastodontes américains et chinois
- Un manque de puissance de calcul et d’infrastructures comparé aux géants du secteur
Mais avec un investissement de 200 milliards, une stratégie axée sur des modèles spécialisés et une forte volonté de régulation éthique, l’Europe semble prête à jouer un rôle majeur dans l’avenir de l’intelligence artificielle.
Par Sébastien Yernaux
Portrait : Alexei Grinbaum
Illustrations : Licence CC
Extrait du dossier du mois « Évolution techno-logique ? »