« La coopération est essentielle, même dans un marché compétitif »
Carte blanche de Raymond Aendekerk, discours inspirant qu’il a tenu lors du lancement de la 28e édition du magazine 4x3, au LUCA – Luxembourg Center for Architecture, le 28 novembre 2024.
Interviewé par Frédéric Liégeois pour le Grand Entretien du magazine 4x3, Raymond Aendekerk a eu la possibilité de s’exprimer lors de l’événement accompagnant la parution du magazine.
« Au cours de mes 36 ans de carrière chez Hëllef fir d’Natur et Greenpeace, j’ai eu l’opportunité de rencontrer de nombreuses personnes inspirantes qui auraient certainement aussi mérité une grande interview et de participer à cette manifestation.
Mon parcours, marqué par des études en agronomie, m’a conduit à m’interroger sur l’avenir de notre planète. Dans les années 80, j’ai pris conscience des menaces qui pèsent sur notre environnement : la pollution de l’eau, de l’air et du sol, ainsi que le réchauffement climatique et l’épuisement des ressources naturelles. Face à ces enjeux, il est devenu clair que le status quo, le « business as usual », n’était plus une option viable. J’ai alors décidé de m’engager activement dans la promotion de la biodiversité et de la protection de l’environnement, tout en comprenant que des changements profonds devaient également intervenir dans notre économie.
Avec des amis sarrois, j’ai lancé une pépinière d’arbres fruitiers en Moselle, car il était urgent de relancer la production des arbres fruitiers de variétés régionales à hautes tiges. Nos projets ont suscité un engouement, mais nous avons rapidement réalisé qu’il était essentiel de commercialiser ces fruits, en particulier les pommes. Ainsi, j’ai cofondé une structure de production de jus de fruits avec sept partenaires et nous avons créé l’entreprise « Äppelhaus sarl » à Munsbach, en collaboration avec Oikopolis. Dans cette même réflexion, j’ai également planté un verger biologique de 700 arbres fruitiers.
Au fil de cette expérience, j’ai appris les rouages de l’arboriculture, de la production à la commercialisation. J’ai compris que la méthode écologique, bien qu’essentielle, peine souvent à se faire une place sur le marché en raison des prix de vente. Les petites unités de production ainsi que des exigences de qualité et de critères sociaux élevés ne permettent pas toujours d’atteindre la rentabilité nécessaire.
En tant que cofondateur du premier magasin bio Naturata au Rollingergrund en 1989, ainsi que de la coopérative BIOG, du Biogros, et d’Oikopolis S.A. - au conseil de surveillance duquel je siège encore aujourd’hui - j’ai acquis une vision d’ensemble de la chaîne de valeur du secteur bio au Luxembourg.
Je suis persuadé que la coopération dans l’économie est essentielle, même dans un marché compétitif. Aujourd’hui, nous savons que ce soi-disant marché libre favorise ceux qui peuvent proposer des produits en masse à bas prix, souvent au détriment de l’environnement et de l’être humain.
Il est temps de redéfinir nos priorités. Je crois fermement que toutes nos activités économiques devraient viser le bien commun, la protection de notre environnement et une gestion responsable des ressources. Les entreprises qui adoptent cette approche devraient être soutenues par des politiques favorables : allègements fiscaux, accès favorable au marché et au crédit, subventions élevées.
Plus de 800 entreprises, principalement dans les pays germanophones, s’engagent dans cette voie en réalisant un bilan de l’économie du bien commun - Gemeinwohlökonomie ou Economy for the Common Good. Selon les paramètres de dignité, de solidarité, de justice, de durabilité, de transparence et de gestion participative, une évaluation quantifiée de l’entreprise sera réalisée. Au Luxembourg, nous avons des exemples inspirants, tels que l’Oikopolis Naturata, EnergiePark Réiden, la commune de Mertzig et d’autres, qui œuvrent pour voir émerger ces valeurs définies.
Je suis persuadé que l’avenir nécessite un changement de paradigme. Mais par où commencer ? Je pense qu’il existe deux réponses : d’abord, commencer chez soi-même à réfléchir à l’essentiel, à changer, à faire mieux tout simplement. Ensuite, identifier les domaines dans lesquels nous pouvons réellement apporter des changements.
Prenons l’exemple de l’agriculture biologique au Luxembourg. En 1989, nous n’avions que six agriculteurs bio. Aujourd’hui, nous en comptons plus de 80, accompagnés de nombreux transformateurs alimentaires. Au niveau européen, la surface dédiée à l’agriculture biologique atteint 16 millions d’hectares et au niveau global, la surface s’élève à 96 millions d’hectares. Le chiffre d’affaires mondial des produits bio a atteint lui près de 135 milliards d’euros. Cela démontre qu’un changement est possible.
Il est crucial d’adopter une perspective plus large sur les événements qui se déroulent dans le monde, même si nous manquons de force et perspectives. Comme le souligne la philosophe Pascale Seys avec le titre de son livre « Si tu vois tout en gris, enlève l’éléphant », nous devons parfois adopter un regard dézoomé pour mieux comprendre les enjeux qui nous entourent.
En conclusion, je vous invite à réfléchir profondément à notre rôle dans cette transformation. »