Le miracle de la voiture électrique n’aura pas lieu
Le gouvernement mise une nouvelle fois sur la voiture électrique. Un pari déjà plusieurs fois perdu, mais cette fois, il assure détenir un atout dans sa manche : la "borne publique de recharge."
J’aimerais qu’on m’explique. Deux ténors du gouvernement, Arnaud Montebourg et Ségolène Royal, clament que l’avenir de la mobilité passe par la voiture électrique. Mais l’ère du véhicule électrique n’a-t-elle pas déjà été annoncée par le chancelier allemand Kohl en 1992 ? Une certaine Angela Merkel, ministre de l’environnement, était, à partir de 1994, en charge de ce programme ambitieux qui devait aboutir à 10% de voitures neuves électriques mises en circulation dès 2000. En France, Jacques Calvet, président de PSA Peugeot-Citroën, n’a-t-il pas prédit la mise en circulation de 200.000 véhicules électriques, en se donnant un peu de marge, il tablait sur 2005-2010... En 2013, grâce aux achats ministériels et à La Poste, on estime que 30.000 véhicules électriques sont en circulation...
Et Vincent Bolloré, qui a soi-disant fait une entrée fracassante sur le marché du véhicule électrique avec sa Blue car en a vendu combien en 2013 ? 2.500 ? 2.600 ? Quand il escomptait 10.000 ventes à l’horizon 2012.
Mobilité verte et idéale ?
Malgré ces échecs à répétition, le gouvernement nous ressort une nouvelle fois l’avènement du moteur électrique. Il n’a pas percé avant 1900 (date des premiers véhicules), pas plus qu’à la fin du XXe, mais cette fois sera la bonne... On nous a, pour l’occasion, changé l’emballage : de la voiture zéro émission (ZEV, zero emission vehicle - à l’époque, en 1993, dans un rapport du Sénat, le rapporteur Pierre Laffitte écrivait que le véhicule électrique « délocalise la pollution ») on est passé à la mobilité verte. L’adjectif est plus flou, assez faux mais tellement plus attrayant, plus vendeur. Car le principal défaut de la voiture électrique, d’après nos ministres, est qu’elle ne se vend pas. On oublie les problèmes posés par les batteries (leur construction, leur recyclage, leur médiocrité -cela fait plus de 20 ans qu’on nous promet pour demain la batterie révolutionnaire) et les problèmes d’autonomie. Comme le résume simplement Jean-Paul Denanot, président de la Région Limousin : « Quand on prend son véhicule et qu’on sort de chez soi, on veut pouvoir revenir ». Ce n’est plus un problème de distance que le véhicule pourrait parcourir, mais un problème d’assurance. Qu’une voiture électrique neuve affiche une autonomie de 150 à 250 kilomètres dans des conditions optimales de circulation (en hiver, par exemple, avec le froid, le chauffage, les performances de certains modèles chutent de 30%...) n’est en rien un défaut. J’assistai, il y a peu, à une présentation par ERDF Limousin joliment intitulée Pour favoriser le développement de l’électro-mobilité. On nous y expliqua pendant une heure que les défauts principaux du véhicule électrique (l’autonomie, donc, les temps de recharge) n’en étaient pas puisque 80% des conducteurs font des trajets de moins de 40 kilomètres, que ces trajets sont du domicile-travail et que le reste du temps le véhicule est immobilisé, donc rechargeable. La voiture électrique est donc le véhicule idéal (n’oubliez jamais qu’en plus il est vert - Notons à ce sujet que le groupe Bolloré a été épinglé par le Jury de déontologie publicitaire car il présentait ses véhicules comme écologiques).
À ce stade de son développement (plus de 100 ans après les premiers modèles), le véhicule électrique, dont l’autonomie comparée à celle d’un engin thermique, n’a toujours pas décollé, n’a besoin que d’un petit coup de pouce pour envahir nos routes et celui-ci s’appelle (roulements de tambour) : la borne publique de recharge. Le projet de loi du gouvernement se fixe l’objectif de 7 millions de points de recharge en 2030. Pour l’installation de 144 bornes mixtes (recharge normale ou accéléré) et 13 bornes rapides, ERDF propose à la Région Limousin un devis à 2.190.000 d’euros. À ce prix-là, ne vaudrait-il pas mieux proposer un service de remorquage pour les voitures qui tombent en rade ? Car il faut bien comprendre qu’une borne de recharge ne modifie par l’autonomie du véhicule mais répond à la crainte : « Si l’utilisateur pense qu’il peut être en manque d’énergie, il ne fait pas l’achat. » Ce blocage psychologique peut être levé grâce à ce concept à 2 millions d’euros pour 157 bornes à l’échelle d’une petite région comme le Limousin : la réassurance. Car, à ce prix-là, ce concept marketing porte même un nom. On plante à grands coups d’argent public sur le territoire des bornes qui ne serviront quasiment jamais, mais qui devraient rassurer les acheteurs potentiels et lancer enfin l’ère de l’électro-mobilité. Car le plus étonnant dans tout cela, est l’usage fait de ces bornes. ERDF nous a relaté une expérience menée à Strasbourg : des salariés avaient été équipés de véhicules électriques. Dans leur secteur d’évolution, on avait implanté pour 70 véhicules mis en circulation, 145 bornes de recharge. Elles furent très peu utilisées. Les bénéficiaires des véhicules préférant largement recharger chez eux ou sur le lieu de travail. Encore mieux, les employés roulant à l’électrique faisaient deux fois plus de kilomètres que les autres : le coût au kilomètre étant peu élevé et comme ils avaient l’impression de ne pas polluer ! Nous parlons bien ici d’une impression : car pour rouler, il faut recharger, et pour recharger il faut produire de l’électricité. Mais lorsque ERDF (filiale d’EDF) vous présente sa stratégie « pour favoriser le développement de l’électro-mobilité », ce qu’il y a derrière la recharge n’est jamais évoquée. Si vous posez une question pour savoir de quelle électricité on parle, « ce n’est pas le sujet », vous rétorque-t-on. Tout juste reconnaît-on qu’une augmentation trop importante du nombre de véhicules électriques en circulation pourraient poser des problèmes de pilotage de la recharge. Car si tout le monde branche son véhicule au même moment, si en plus nous sommes en hiver... Le problème est évident mineur, la technologie (d’ici que des voitures électriques soient effectivement vendues) va nous arranger le coup. Des systèmes de pilotage à distance des recharges éviteront ces phénomènes de pointe qui pourraient considérablement alourdir le bilan carbone des ZEV (qui est bon, puisque la France marche au nucléaire). Cela s’appelle le smart-grid. Ça ne fonctionne pas encore réellement, mais c’est l’avenir. Le réseau électrique pourra même utiliser votre véhicule comme stock d’appoint d’électricité... Gracieusement ?
Logique écologique ?
Peut-on réduire la part du nucléaire dans la production française d’électricité, comme le président François Hollande s’y est engagé, et promouvoir en même temps le véhicule électrique ? Ce n’est pas la question. Thierry Pagès, directeur d’ERDF Limousin, vous explique même que si la moitié du parc automobile français était en électrique, nous importerions moins de gaz et de pétrole et nous pourrions réaliser 10 milliards d’euros d’économie sur notre facture énergétique. Une antienne reprise par François Hollande le 8 juillet 2014 : « Cette lois sur la transition énergétique nous permettra de promouvoir la croissance verte, d’économiser l’énergie et donc d’améliorer le pouvoir d’achat, de développer les énergies nouvelles et de réduire notre dépendance à l’égard du pétrole. » Moi qui avais l’impression qu’on était dépendant au nucléaire... Mais avec quelle électricité seraient rechargées tous ces véhicules ? Ce n’est pas la question.
J’aimerais pourtant qu’on m’explique. Alors qu’au niveau européen on s’accorde à penser qu’il ne faut pas privilégier une technologie, que la dépendance française aux énergies fossiles est un souci mais que les batteries qui équipent actuellement les voitures électriques font également appel à des composants que nous ne possédons pas, que la réassurance, si elle favorise l’acte d’achat ne répond pas à la problématique de l’autonomie, que les recharges rapides (mais terriblement lentes par rapport au remplissage d’un réservoir) occasionneront des pics de consommation électrique, que le véhicule électrique est définie par beaucoup comme un véhicule urbain, je voudrais qu’on m’explique pour quelles raisons l’État va dépenser des millions dans des bornes de recharge (qui à l’heure actuelle ne pourront sans doute pas répondre à tous les types de véhicules électrique faute d’une norme commune aux constructeurs) ?
Si le véhicule électrique doit être pensé dans une logique écologique, il est aberrant d’imaginer son développement sans se poser la question de la provenance de l’électricité.
Pour François Bellanger, prospectiviste, directeur de Transit City et cité dans le rapport du député EELV Denis Baupin et de la sénatrice UMP Fabienne Keller les Véhicules écologiques du futur , « le véhicule électrique n’est pas forcément synonyme de voiture écologique. Si l’électricité est produite avec du charbon, la pollution est semblable à celle de l’essence, voire pire. Si l’électricité est produite avec du nucléaire, ce n’est pas écologique que ce soit en amont (les mines d’uranium sont des catastrophes environnementales) ou en aval (du fait des déchets radioactifs et toxiques pendant des milliers d’années). »
Mes connaissances sont sans doute insuffisantes, mais je ne vois absolument pas comment le véhicule électrique pourrait être un atout dans la transition énergétique. Eux-mêmes ne produiront pas de gaz à effet de serre, soit, mais l’électricité nécessaire à leur fonctionnement ? Oui, je sais, l’énergie nucléaire ne dégage pas de gaz à effet de serre, mais ne devions-nous pas en baisser la part dans le mix énergétique français parce que c’est quand même une belle saloperie ? Ah, nous allons remplacer du nucléaire par des énergies propres et renouvelables et en quantité suffisante pour que toutes ces bornes de recharge ne soient pas implantées en pure perte. Moi président, je m’en serais tenu à ce que j’avais dit (réduction à 50% de la part du nucléaire dans la production électrique française d’ici à 2025) et j’aurais investi les deniers publics dans une aventure à l’issue moins incertaine.
Communiqué par Stéphane Monnet / Photo ©Florie Colarelli