Les centrales françaises et belges font peur à leurs voisins
Suisses, Allemands ou Luxembourgeois veulent voir fermer ces centrales vétustes et fragiles.
Fessenheim, Cattenom, Bugey : ces centrales françaises sont ou vont être attaquées en justice. Suisses, Allemands ou Luxembourgeois veulent voir fermer ces centrales vétustes et fragiles. Quant aux centrales belges, elles suscitent l’inquiétude en Allemagne.
La France doit fermer ses usines infernales, martèle Rémy Pagani, conseiller administratif de la Ville de Genève. Mercredi 2 mars, la métropole suisse a déposé une plainte contre X pour mise en danger de la vie d’autrui et pollution des eaux . Cette procédure pénale, portée auprès du Pôle santé du Tribunal de grande instance de Paris, vise la centrale du Bugey, située dans l’Ain à 70 kilomètres de Genève. Dégradation croissante, entretien défectueux, risques d’inondation… les réacteurs, mis en service en 1978 et 1979, accumulent les signes de faiblesse. L’un d’entre eux est d’ailleurs à l’arrêt depuis plusieurs mois.
Il y a une séries de faits très préoccupants , explique à Reporterre Rémy Pagani. Des fuites potentiellement dangereuses de tritium ont été constatées, et l’étanchéité de la cuve paraît insuffisante .
Le procureur doit à présent décider les suites à donner à cette plainte. L’Etat et la Ville de Genève espèrent qu’un juge d’instruction sera nommé pour mener l’enquête. La balle est désormais dans le camp des autorités françaises , nous dit Corine Lepage, avocate des plaignants. Si elles décident de ne rien faire, elles devront prendre leurs responsabilités .
Un appel à l’action relayé par d’autres pays européens. Jeudi 3 mars, le gouvernement du Luxembourg a ainsi saisi la Commission européenne. Motif ? La centrale de Cattenom, en Moselle, ne serait pas conforme aux normes post-Fukushima. C’est le résultat d’un rapport d’experts remis la semaine dernière aux parlementaires écologistes allemands. Là encore, la résistance des infrastructures en cas d’inondation, de tremblement de terre, ou en cas d’avion projeté est remise en cause. Le député Vert Anton Hofreife a demandé au gouvernement fédéral d’ouvrir des négociations avec la France en vue de la fermeture de la centrale pour danger imminent .
Et vendredi 4 mars, une enquête accablante sur la centrale de Fessenheim relayée par plusieurs médias allemands a suscité de vives inquiétudes. Le leader des Verts dans la Sarre, Simone Peter, a qualifié de bombe à retardement la centrale la plus vieille du parc français, et dénoncé une grave menace pour la population en Allemagne . Une position reprise par la ministre allemande de l’Environnement, Barbara Hendricks, qui a jugé que Fessenheim devrait être fermée le plus vite possible .
Elle prépare d’ailleurs avec la ministre luxembourgeoise de la santé, Lydia Mutsch, un courrier à Ségolène Royal pour rappeler à l’Etat français ses obligations en matière de sûreté nucléaire.
Côté français, l’heure est à la tranquillisation. Toutes les centrales sont régulièrement contrôlées, et elles subissent tous les dix ans des tests draconiens , nous indique l’Autorité de sûreté nucléaire. Le Bugey, comme Cattenom ou Fessenheim, sont jugées fonctionnelles , bien que d’importants travaux aient été préconisés. Même son de cloche chez EDF. L’entreprise ne commente pas pour le moment la plainte visant les installations du Bugey, mais répond, au sujet de Cattenom, que ce site fait l’objet d’un programme de modernisation afin d’améliorer en permanence son niveau de sûreté . Autrement dit, tout va bien.
Alors pourquoi tant de craintes de nos voisins européens ? Les gens qui regardent les choses objectivement ne peuvent être qu’inquiets , estime Corine Lepage. Les centrales françaises sont vieillissantes, et l’industrie nucléaire n’a pas les moyens de sa politique . Un constat partagé par Michèle Rivasi, eurodéputé et initiatrice du Nuclear Transparency Watch (NTW) : EDF et Areva sont dans le rouge, et n’ont ni les moyens de démanteler les centrales, ni les moyens de les remettre à niveau, dit-elle à Reporterre . On est dans une seringue !
Pour EDF, l’équation nucléaire n’est en effet plus tenable . Sans transition énergétique, la remise à neuf du parc nucléaire français doit coûter 100 milliards d’euros au groupe, d’après la Cour des comptes. A cela, il faut ajouter l’EPR de Flamanville , au budget toujours croissant, et les deux EPR britanniques de Hinckley Point. Sans oublier les 37 milliards d’euros de dette du géant français. Signe de cette crise financière inextricable, Thomas Piquenal, a démissionné de son poste de directeur financier lundi 7 mars.
C’est sans doute afin de donner du temps à EDF que la ministre de l’Environnement, Ségolène Royal, s’est dite prête, dimanche 28 février, à autoriser la prolongation des réacteurs nucléaires pour 10 ans supplémentaires afin de porter leur durée de vie à 50 ans. Une annonce polémique que nos voisins déplorent. Les Français ont choisi de faire passer la rentabilité de leur filière avant la sécurité de la population , se désole Rémy Pagani. Lui espère que les actions tous azimuts entreprises contre l’atome feront bouger les lignes : Les Suisses ont eu besoin des autres pays pour réagir sur le secret bancaire, à nous d’aider les Français à sortir du nucléaire !
Plus de 800.000 signatures pour eviter un nouveau Tchernobyl en Belgique
Le nucléaire belge aussi fait l’objet de vives critiques de la part des Pays-Bas et de l’Allemagne. En cause, deux réacteurs situés à Doel et Tihange, arrêtés pendant près de deux ans, puis remis en route… avec de multiples incidents . Fuite d’eau dans un générateur, problème d’alternateur, incendie, pannes. Les deux centrales sont gérées par Electrabel, filiale du français Engie.
Les villes de Maastricht (Pays-Bas) et d’Aix-La-Chapelle (Allemagne) envisagent de déposer une plainte devant le Conseil d’Etat belge, et une autre devant une juridiction bruxelloise pour demander l’arrêt de Tihange. Une pétition pour éviter un nouveau Tchernobyl , lancée le 28 janvier sur la plateforme Avaaz , a recueilli 820.000 signatures. Elle appelle les politiques à procéder immédiatement à une nouvelle évaluation de l’impact environnemental transfrontalier .
Photo : Doel (prov. de Flandre-Orientale, Belgique). Centrale nucléaire vue depuis Lillo sur la rive opposée de l’Escaut. Photo de Torsade de Pointes
Source : Lorène Lavocat pour Reporterre