« Nos océans ne sont pas des poubelles »
Jean-Louis Étienne est une pointure scientifique internationale. Il fut notamment le premier homme à atteindre le pôle Nord en solitaire en 1986.
Toujours impliqué dans la protection des océans notamment, il est invité aux quatre coins du monde pour partager ses connaissances et interpeller les consciences. Il a pris quelques minutes de son temps précieux pour parler de l’or bleu en exclusivité pour infogreen.lu.
« Les océans nous rendent de grands services. Il ne faut jamais oublier qu’ils nourrissent la moitié de la population humaine. De plus, ils absorbent 93% de l’excès de chaleur dû au réchauffement climatique. » Malheureusement, les hommes ne lui rendent pas la pareille. « La conséquence de ce mauvais traitement, c’est que nous observons un dépeuplement progressif de la faune et de la flore. C’est évidemment un problème terrible pour le renouvellement de la biodiversité. Chaque espèce apporte sa petite contribution pour qu’au final, l’homme puisse bénéficier des bienfaits quotidiens de l’eau qui nous entoure. »
Des agissements peu scrupuleux aux conséquences désastreuses. « Il ne faut pas sous-estimer le réchauffement de la température moyenne des océans, tout comme la fonte des calottes polaires. » Deux phénomènes dont l’impact est mesurable avec une élévation moyenne du niveau de la mer de 3,2 millimètres par an.
« Cela peut paraître dérisoire, mais cela bouleverse totalement l’équilibre marin. Sans y prêter attention, ou en se voilant la face, les hommes ont vraiment un impact sur les océans qui sont devenus, pour beaucoup, une véritable poubelle à ciel ouvert. En n’omettant pas le fait qu’ils absorbent l’excès de gaz carbonique, entraînant une acidification des eaux. C’est très inquiétant. »
Une pêche plus responsable
Changer nos comportements constitue le fondement principal pour limiter notre impact sur les océans. « La lutte contre le réchauffement climatique, c’est l’acte 1 ! C’est quelque chose qui touche à la fois les océans, la planète, l’humanité et toutes les espèces. Ensuite, à mes yeux, il y a un gros effort à développer sur le contrôle de la pêche. Une fois passées les zones de protection où tout est contrôlé, on arrive dans les eaux internationales où il n’y plus aucune régulation. Et pourtant, ces eaux internationales constituent la majeure partie des océans. C’est donc là que se déroule la majorité du pillage océanique. »
La gestion mutualisée serait-elle la solution ? « Nous essayons de trouver un moyen pour que tous les pays s’accordent sur une même gestion. Ce fut notamment le cas lors du One Ocean Summit qui s’est déroulé à Brest, en février dernier. Mais l’océan est géantissime. Son contrôle est par conséquent très compliqué. Surtout, si on tient compte de la présence de navires pirates qui ne respectent rien à part le profit qu’ils peuvent tirer d’une pêche non régulée.
Le plastique, pas si fantastique
Jean-Louis Étienne ne baisse pas les bras pour autant. « Je ne vais pas dire que nous avons franchi une limite qui ne peut plus être réparée, car cela signifierait que nous abandonnons. Les solutions sont connues, comme la réduction de l’utilisation du plastique. Quand on jette une bouteille dans la nature, elle arrive par différents moyens jusque dans les océans. À cause de l’érosion causée par l’eau et les ultraviolets, cette bouteille va se dégrader, créant ainsi des microplastiques. Ces derniers vont se transformer en petits radeaux et accueillir du phytoplancton, c’est-à-dire des organismes se nourrissant notamment de déchets parmi lesquels des métaux lourds. Et malheureusement, la chaîne alimentaire va se poursuivre car ces phytoplanctons vont être mangés par de petits animaux, pour finir dans nos estomacs. Pour éviter ce phénomène, il faudrait tendre vers des plastiques biosourcés qui sont entièrement renouvelables et fabriqués à partir de produits naturels. »
Et le Luxembourg ?
Le Grand-Duché n’a pas de côtes, mais il peut néanmoins jouer un rôle. « Même s’il ne compte pas beaucoup d’habitants, il doit être efficace sur sa zone d’influence. C’est un pays de banques et très impliqué dans la finance internationale. Il y a donc beaucoup d’investisseurs qui peuvent œuvrer pour la sauvegarde de la planète. On peut notamment miser sur des entreprises actives dans le secteur des nouvelles énergies renouvelables. Si tous les acteurs s’unissent pour l’environnement, on peut arriver à des résultats positifs. »
Malgré ses 75 ans, Jean-Louis Étienne ne compte pas se reposer. « Je travaille sur un projet d’étude, baptisé Polar Pod. Il est centré sur l’océan Austral situé autour de l’Antarctique, au pôle Sud. Cet océan est loin, difficile d’accès et très peu étudié. Il est cependant le principal puits de carbone océanique de la planète. Il joue donc un rôle de régulateur important. C’est un beau projet, à la fois privé et public. Nous recherchons toujours des fonds sous la forme de sponsoring et de mécénats. »
Une belle vitrine pour les investisseurs. « Il faut savoir que le vaisseau Polar Pod est zéro émission. Il sera entraîné par le courant. Il s’agit de l’une des premières campagne qui n’aura aucun impact sur les lieux des recherches. C’est une prouesse à la fois scientifique et technologique. Et nous en profitons également pour mettre en exergue son côté pédagogique. Nous souhaitons attirer l’attention des jeunes générations sur le respect des richesses de notre planète. Cela fait 40 ans que j’effectue des expéditions à vocation scientifique et pédagogique. Et je sais que la jeunesse a besoin de personnes audacieuses pour croire en ces ambitions. »
À noter que Jean-Louis Étienne est également le président du Fonds de dotation Océanopolis Acts. Ce dernier accompagne celles et ceux qui apprennent, maîtrisent, transmettent et explorent pour la compréhension, la préservation et l’exploitation durable de l’océan. Toutes les actions d’Océanopolis Acts, dans leur diversité, sont dictées par une seule et même conviction : « comprendre pour mieux agir durablement ». Pour en connaître d’avantage et soutenir ce fonds, surfez sur www.oceanopolis-acts.fr.
Sébastien Yernaux,
en collaboration avec le Fonds de dotation Océanopolis Acts, partenaire Infogreen
Article paru dans le dossier du mois « Bouteille à la mer ! »