Prêcheurs de durabilité

Prêcheurs de durabilité

Dave Lefèvre (Coeba Architectes) n’a de cesse de promouvoir un mode de construction sain et en adéquation avec l’environnement, en privilégiant des matériaux locaux et biosourcés tels que la paille, l’argile et le bois de hêtre. Il s’est récemment adjoint les talents d’Ode Vigneron, architecte spécialisée dans la construction durable. Tous deux commentent le contexte actuel et quelques projets en cours.

Un rôle qui évolue

D.L. : « On enchaîne actuellement les crises. Celle qui m’inquiète particulièrement, c’est la crise climatique et énergétique que nous traversons. Mais elle permet au moins à chacun de voir ce qui se passe, de quoi et de qui nous sommes dépendants. Cela réveille un peu les gens, et en parallèle, c’est à nous, architectes engagés dans cette thématique, de les convaincre d’agir autrement, de construire avec des matériaux alternatifs, de réduire légèrement la programmation ou le volume du bâtiment afin de respecter le budget du client ».

O.V. : « C’est vrai que lors des réunions avec les maîtres d’ouvrage, on se sent finalement plus prêcheurs qu’architectes. Si on a tous compris les priorités et les urgences climatiques, il faut encore convaincre d’investir dans la durabilité. Rares sont ceux prêts à payer le prix pour la construction, même si les frais d’exploitation sont de facto réduits. Les maîtres d’ouvrage ne réfléchissent pas souvent à ces coûts d’exploitation, qui représentent pourtant au minimum l’équivalent des coûts de construction dans une approche classique. À ce niveau, l’augmentation des prix de l’énergie change tout de même un peu la donne en faveur de la construction low tech. Notre rôle évolue, le métier devient plus complexe. Mais ce qu’on fait a du sens, et c’est le plus important. »

D.L. : « Ils ne s’intéressent pas souvent non plus aux coûts de démontage et aux matériaux qui posent problème en fin de vie. Ils laissent cela aux générations suivantes plutôt que d’anticiper, en prévoyant des matériaux qui génèrent une nouvelle matière première, qui ont une valeur au lieu d’engendrer des coûts. Heureusement, en continuant à mettre en valeur les matériaux bio-sourcés régionaux, nous essayons d’influencer les prix vers le bas. Dans le cadre d’un groupe de travail « construction durable / économie circulaire », nous travaillons avec le Ministère de l’Energie et de l’Aménagement du territoire pour faire évoluer les réglementations, les agréments, etc. »

Administration communale de Fischbach

D.L. : « Pour cette nouvelle mairie, nous avons proposé de recourir au bois local, entre autres le bois de hêtre Celui-ci est rarement utilisé dans le secteur de la construction alors qu’il représente 24% des essences de bois de nos forêts. En plus d’être très résistant à la pression, ce bois est très nerveux, ces caractéristiques propres au hêtre changent considérablement la conception des détails techniques. Nous avons développé un système de profilé déporté avec un ingénieur statique, qui permet l’utilisation de ce bois avec ses caractéristiques dans une esthétique contemporaine. En fait, avec l’augmentation des prix des matières premières, nous sommes amenés à inventer de nouveaux chemins.

Pour l’isolation, nous faisons appel aux agriculteurs de la commune pour la fourniture de la paille, une matière renouvelable annuellement. C’est une façon d’éviter l’importation de matériaux et d’impliquer les acteurs locaux. Cette démarche favorise leur adhésion et l’identification à la réalisation de ce projet communal. »

O.V. : « Concernant la technique, on emploie la thermique naturelle du bâtiment pour activer les échanges d’air, plutôt que de recourir à une ventilation mécanique double flux. La conception du bâtiment nécessite une réflexion en conséquence. Une loggia en toiture permet l’aménagement d’ouvrants verticaux en partie supérieure d’un atrium. Ceux-ci garantissent, en été, l’activation d’une sous-pression du bâtiment et l’évacuation nocturne de la chaleur. En période hivernale, la sous-pression est garantie par un ventilateur relié à une pompe à chaleur qui permet la récupération de chaleur. L’air frais est amené via des fenêtres pariétodynamiques. Ce système se base sur le fait que les fenêtres représentent un facteur majeur de la déperdition calorifique du bâtiment. Les interstices entre les vitres du triple vitrage permettent l’aspiration de l’air frais grâce à la sous-pression du bâtiment reprenant la perte de chaleur inhérente aux fenêtres. L’air frais amené est donc préchauffé par ce passage au travers du vitrage. »

D.L. : « Ce système low tech a une influence sur les coûts primaires des installations techniques étant donné que les tuyauteries de ventilation ne sont pas nécessaires. Les coûts d’entretien sont également fortement réduits. Lors de la déconstruction, des économies sont également réalisées sur l’énergie qui aurait été nécessaire pour faire tourner une VMC. L’impact est à la fois financier et écologique. En effet, il s’agit d’économie d’argent, de CO² et de ressources.

O.V. : « Dans l’ensemble, les matériaux proviennent de maximum 500 km du Luxembourg, mais pour la grande majorité on se situe dans un rayon de max. 150 km. Nous analysons tous les matériaux, leur provenance et privilégions également les fournisseurs qui agissent en faveur du développement durable lors de la transformation des produits. »

Bureaux de Coeba Architectes, Bereldange

D.L. : « Nos bureaux de Bereldange seront prochainement rénovés. La rénovation est essentielle dans la démarche de durabilité. Certes, il est toujours plus facile de construire du neuf, mais le patrimoine existant au Luxembourg ne demande qu’à être assaini et revalorisé.

Comme pour le projet de Fischbach, nous allons recourir au système de ventilation low tech qui se base sur les principes de mise en sous pression du bâtiment. Le chauffage est assuré par une pompe à chaleur air-eau.
Toutes les interventions sur le bâtiment sont réalisées avec des matériaux biosourcés. Pour éviter la surchauffe de la construction légère en bois en été, nous avons opté pour des plaques en argile en plafond afin de créer de l’inertie par la masse de la terre crue. À l’extérieur, une façade ventilée en bardage bois créera de l’ombrage sur l’enveloppe thermique et les fenêtres tout en créant une identité propre à notre atelier d’architecture »

Maison de soins, Hesperange

D.L. : « Cette nouvelle construction va s’insérer entre le CIPA existant (Centre d’intégration pour personnes âgées) et un quartier résidentiel. Compte tenu de cette implantation, l’impact du chantier doit être minimisé, en termes de durée, de nuisance sonore et de poussières engendrées. Nous avons proposé une construction bois, avec préfabrication des chambres. La construction des modules qui se fait en atelier, dans des conditions optimales, est gage de qualité. Deux modules composent une chambre avec sanitaires. En fin de vie, deux possibilités de seconde vie : réutiliser les modules pour d’autres bâtiments, ou les désassembler afin de récupérer les différents éléments qui le composent.

O.V. : « Il est important pour nous de pouvoir chiffrer la durabilité des bâtiments de manière factuelle pour chaque projet. Nous comparons nos projets avec un projet de référence en construction classique, suivant 13 critères qui nous semblent importants par rapport à une durabilité intégrale : Potentiel de réchauffement climatique, stockage de CO2, appauvrissement de la couche d’ozone, acidification des sols et de l’eau, eutrophisation, formation d’ozone photochimique, épuisement des ressources abiotiques/éléments, épuisement des ressources abiotiques/fossiles, utilisation des ressources énergétiques primaires, consommation d’énergie primaire totale, consommation d’énergie primaire renouvelable, consommation d’énergie primaire non renouvelable et utilisation nette d’eau douce. »

D.L. : « On garde espoir de faire évoluer les modes de construction dans la bonne direction. Et, par l’exemple de réalisations concrètes, de motiver les futurs maîtres d’ouvrages. »

Marie-Astrid Heyde
Photo : Infogreen.lu
Illustrations : Coeba Architectes

Extrait du dossier du mois « Bâtir d’autres modèles »

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Publié le mardi 22 novembre 2022
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