« Un pilote et un démonstrateur qui questionne et inspire d'autres projets »

« Un pilote et un démonstrateur qui questionne et inspire d’autres projets »

Le 10 janvier, nous visitions la version luxembourgeoise d’une « géonef » ou « earthship », habitat dont les caractéristiques de construction communément admises regroupent respect de l’environnement, autoconstruction à faible coût, utilisation raisonnée de matériaux de réemploi ou issus du recyclage et autosuffisance énergétique et alimentaire.

L’architecte américain Michael Reynolds fixera les principes fonctionnels et esthétiques d’une telle architecture entre la fin des années 60 et les années 70 au Nouveau-Mexique, architecture qui recycle sans complexes pneus usagés, canettes en aluminium et bouteilles en verre, matériaux pierreux et céramique, mobiliers de réemploi, ainsi que d’autres matériaux issus de techniques de construction traditionnelles tels que le bois ou la terre (pisé, adobe et torchis), et qui questionne profondément notre rapport à la consommation.

Rodrigo Vergara et Benjamin Klein nous ont promenés dans « l’arche », nous avons ensuite interrogé Katy Fox sur ce projet disruptif.

Comment cette idée est-elle née ?

Au départ, il y a avant tout une forme d’intérêt et de fascination pour les habitats alternatifs. Avec mon amie Sophie Pixius, nous avions évoqué l’idée que le Luxembourg ait son propre earthship, et suite à notre participation à un programme européen pour lequel notre projet avait été retenu en 2014, nous sommes parties nous former en 2016. Lors du montage du projet, l’Œuvre Nationale de Secours Grande-Duchesse Charlotte et le ministère de l’Environnement nous ont apporté leur soutien financier. En 2016, Léa Mauguin, architecte volontaire française, nous a rejoints et a élaboré les premières esquisses du projet.

Quels ont été les facteurs limitants principaux : trouver les partenaires et candidats-bâtisseurs bénévoles, trouver le financement ou résoudre les défis administratifs ?

À vrai dire, un peu tout ! S’agissant d’un projet pilote assez disruptif relativement aux législations en vigueur, les autorisations furent longues à recevoir. Nous avons dû faire quelques compromis bien entendu, notamment sur l’usage des déchets en tant que matériaux de construction, également sur le traitement et l’assainissement de l’eau. S’agissant d’un bâtiment public, le respect des normes incendie et des critères d’accessibilité aux personnes à mobilité réduite ont amené une complexité supplémentaire à la gestion du projet, pénalisant le budget.

La construction n’aurait pu se faire sans le soutien de nombreux volontaires - jusqu’à plus de 50 personnes durant l’été 2019 - luxembourgeois et européens, de groupes scolaires aussi, ce qui a parfois ralenti le processus malgré la motivation de tous ; parallèlement, la pandémie ne nous a pas simplifié la tâche en termes de délais d’approvisionnement des matériaux, en termes d’augmentation des coûts de ceux-ci aussi.

L’autosuffisance alimentaire et l’utilisation raisonnée de l’eau sont des fonctions très présentes, au contraire de nos habitats traditionnels. Tenons-nous assez compte de ces variables dans l’architecture actuelle ?

Il y a dans les projets « classiques » beaucoup de marge pour alimenter les débats autour de l’autosuffisance alimentaire et le caractère local qu’elle revêt, autour de l’utilisation raisonnée de l’eau ou de la réutilisation des eaux grises : depuis plusieurs années, nous commençons à ressentir les effets du changement climatique et particulièrement les pénuries d’eau, eau qui apparaît soudain comme une ressource cruciale.

Nous avons été frappés par l’excellent confort thermique du lieu. Pouvez-vous nous résumer la conception bioclimatique de Äerdschëff ?

Le premier espace « tampon » du projet est une serre qui emmagasine la chaleur dans des matériaux à forte inertie (pierres et céramiques de réemploi, enduits d’argile, pisés en terre crue, …) surtout durant l’hiver, grâce aux apports passifs du rayonnement solaire, les calories étant libérées la nuit - en témoignent les cactus, citronniers et bananiers qui y poussent sans complexe ! En été, l’espace reste frais car le profil de la toiture réduit les apports ; il reste toujours possible d’évacuer un air trop chaud par ventilation nocturne ou rafraîchir les pièces de vie grâce au puits canadien intégré dans la butte orientée au nord, butte essentiellement réalisée à partir de pneus remplis de terre.

À refaire, que souhaiteriez-vous concevoir différemment ?

C’est essentiellement sur la proportion et la taille des espaces internes que nous ferions des modifications : cuisine et espaces de rangement plus grands, ajout d’une salle pour les activités, …

Äerdschëff questionne l’usage des matériaux issus du remploi et du recyclage ; pensez-vous que le Luxembourg se prépare suffisamment à ces enjeux ?

L’un des objectifs du projet est pédagogique et éducatif, plus simplement l’apprentissage des notions autour du low-tech auprès des jeunes et du grand public. Le marché local de la construction est très porté sur la technologie, je pense qu’il ne s’inspire pas encore suffisamment de solutions très simples et lower-tech comme celles que nous avons mises en œuvre ; même si les réflexions sur la circularité sont en marche, il manque encore quelques maillons pour accélérer les process.

Le modèle Äerdschëff peut-il se répliquer au Luxembourg ?

Äerdschëff reste un pilote et un démonstrateur qui questionne et inspire d’autres projets ; la réplication globale du projet n’est pas un but en soi, il faut plutôt considérer chacune de ses qualités comme des solutions transférables à d’autres projets et sur d’autres échelles. De notre côté l’accent doit être mis sur le volet pédagogique ainsi que sur les liens à tisser avec le secteur dans sa globalité, et voir par exemple ce que nous pourrions encore expérimenter sur ce projet.

Pour s’informer plus en avant et visiter : https://aerdscheff.cell.lu/
Reportage Äerdschëff
Extrait du NEOMAG#53
Plus d’informations : http://neobuild.lu/ressources/neomag
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Publié le mercredi 19 avril 2023
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