Une force motrice pour pousser le secteur en avant
La raison d’être de Neobuild est de promouvoir l’innovation dans le secteur de la construction, en particulier au sein des entreprises, c’est-à-dire « encourager et provoquer la création d’innovation pour améliorer la productivité et l’écocircularité des entreprises de construction ». Du concret, donc.
Quels sont vos domaines d’action ?
Nous travaillons sur deux axes principaux : le processus de construction et la construction éco-circulaire, qui eux-mêmes se déclinent en plusieurs niveaux. Ils sont au nombre de trois dans les processus de construction (ou construction 4.0) : il s’agit de la digitalisation des chantiers, l’automatisation - avec l’utilisation de systèmes tels que, à l’extrême, des robots -, et enfin, la construction hors-site c’est-à-dire la préfabrication (à divers niveaux de développement) en usine et l’assemblage sur site, pour que la construction puisse profiter des avantages de l’industrie. Pour ce qui est de la construction circulaire, nous nous concentrons sur 4 sujets : les matériaux biosourcés, les systèmes techniques résilients (systèmes optimisés pour consommer moins voire pour produire plus que les besoins du bâtiment : par exemple, la récupération de l’énergie contenue dans les eaux grises pour chauffer le bâtiment), le bâtiment sain et le bâtiment intelligent.
Qu’est-ce qu’innover pour une entreprise de construction ?
Quand on parle d’innovation, on l’associe souvent à la RDI (recherche, développement et innovation) et malheureusement, ce 1er mot « recherche », fait peur. « Recherche » va évidemment de pair avec « développement », mais pas nécessairement pour une entreprise de construction dont l’essence même est de construire et non de faire de la recherche. Une entreprise de construction devrait s’attacher aux mots « développement » et « innovation », parce que souvent, c’est ce qu’elle fait déjà tous les jours, sans même s’en rendre compte. Dans la plupart des cas, une innovation n’est pas une innovation de rupture mais plutôt une évolution qui peut simplement concerner des procédés ou des méthodes de construction.
L’innovation est aussi une manière pour une entreprise de se démarquer, de trouver sa place sur le marché, et je pense que ce sera de plus en plus vrai à l’avenir. Hier, c’était la position géographique, l’histoire de l’entreprise, son patrimoine, sa réputation qui étaient déterminants. Demain, ce seront ses capacités à s’adapter. Je crois beaucoup au fait que l’entreprise de construction ne peut plus être une simple exécutante en fin de chaîne de valeur, mais que ses connaissances et savoir-faire peuvent être utiles bien plus en amont. Il existe déjà des échanges avec les maîtres d’ouvrage et certains maîtres d’œuvre mais je pense que de nouveaux services vont se développer dans ce sens dans les prochaines années.
Quel est votre rôle ?
Notre rôle est avant tout sectoriel. Nous informons les entreprises, entre autres via le Neomag, de ce qui se fait, pour les tenir à jour sur l’état de l’art. Le but est de motiver et de trouver des porteurs de projets. Nous nous adressons non seulement aux entreprises de construction qui agissent sur les processus, mais aussi aux maîtres d’ouvrage qui ont un impact majeur en ce sens qu’ils peuvent donner une orientation innovante et forcément plus durable sur le produit à construire. Nous couvrons donc les deux pôles en amont et en aval de la construction. Parce qu’au final, un bâtiment réussi, c’est un bâtiment intrinsèquement durable et construit de manière responsable.
Pour les entreprises de construction, nous pourrions être vus comme un « service d’innovation externe ». Nous sommes à leurs côtés pour les aider à développer l’innovation avec notre savoir-faire : gérer et coordonner le projet, trouver les partenaires-clefs, organiser les différentes étapes et au besoin protéger la propriété intellectuelle. Innover reste une démarche compliquée, qui suscite beaucoup de questions : on se demande si c’est vraiment nécessaire, on ne l’a jamais fait avant... Mais quand j’ai la chance d’être face à un entrepreneur qui a envie d’aller de l’avant, nous arrivons assez vite à trouver un terrain d’entente et un intérêt commun à travailler ensemble.
Comment accompagnez-vous les entreprises concrètement ?
Nous les assistons dans le montage de leur projet, dans leur recherche de financements et dans les différentes phases de développement. Nous avons souvent un rôle de pilote et de « mauvais garçon », car nous rappelons les clients à l’ordre sur les délais fixés, par exemple. Nous sommes garants de l’évolution technique du projet. Nous challengeons d’éventuels prestataires. Nous les conseillons dans le choix des technologies à adopter. Nous les aidons dans la réalisation de prototypes et l’implémentation sur site, parfois dans notre propre bâtiment. Quand une entreprise veut faire un pas dans l’innovation, nous pouvons l’aider à en faire trois, « facilement ».
Neobuild se définit comme étant « orienté métiers », qu’est-ce que cela veut dire ?
Par rapport à d’autres structures d’accompagnement plus classiques, notre plus-value est d’être le bon interprète des besoins de l’entreprise. En effet, notre équipe (le groupe CDEC dans son ensemble, intégrant Cocert et l’IFSB) est constituée de personnes qui ont une expérience des chantiers, donc une compréhension des différents métiers, ce qui leur permet de détecter les points d’impact pour obtenir des résultats concrets. Alors, évidemment, nous ne produisons pas de très longs rapports d’expertise, mais nous allons à l’essentiel pour que les mesures puissent s’appliquer dès que possible. Nous nous mettons au diapason de nos membres et de nos clients.
Quel type de projets accompagnez-vous, par exemple ?
Nous sommes très fiers de projets comme Leko (l’histoire de deux jeunes passionnés qui sont passés, en quelques années, d’éléments en bois à l’érection d’un mur dans notre living lab’, puis à la construction de maisons et finalement à l’établissement d’une usine complète 4.0) ; Geobloc (la 1re brique 100% éco-circulaire luxembourgeoise, fabriquée à partir de « déchets » terreux d’excavation de chantiers, avec toute une série d’avantages dans son process de construction) ; autre exemple, l’IoT Chantier (utilisation sur les chantiers d’une nouvelle technologie d’objets connectés, testée chez Neobuild pour simuler les contraintes les plus importantes sur chantier : suivi des RH, traçabilité des engins et outils, suivi du matériel, etc.).
Quels sont les freins à l’innovation ?
Malheureusement, les nombreux règlements et normes auxquels le secteur est soumis ne sont pas toujours favorables au développement de nouvelles solutions. C’est pourquoi notre living lab’ existe. Dans cet espace, nous pouvons créer un 1er cas d’étude, installer un produit et démontrer qu’il fonctionne, comme nous l’avons fait pour la PKOM4 de Pichler, par exemple. La peur de l’inconnu est aussi un frein - et c’est tout à fait normal car les entreprises se concentrent sur leurs activités quotidiennes et ne disposent pas toujours du temps et des ressources nécessaires pour se remettre en question ou simplement pour se mettre à jour.
Mais je suis toujours surpris par la capacité à se réinventer qu’ont les porteurs de projets une fois qu’ils ont passé ce cap et qu’ils sont lancés. Nous devons être une locomotive, une force motrice pour pousser le secteur en avant.
Quel impact a eu la crise COVID en termes d’innovation ?
C’est dans les situations compliquées qu’on sort le nez du guidon ! La crise COVID en étant une, cela nous a ouvert les portes de quelques entreprises. Le programme Neistart a été une opportunité pour nous. Je pense que les entreprises de construction sont innovantes par définition puisqu’elles développent des solutions nouvelles face aux demandes des architectes et en fonction de chaque chantier. Ce qu’il faut éviter c’est que les solutions qu’elles développent face à une problématique donnée ne restent pas des « one shot », mais il faut qu’elles soient dupliquées à l’ensemble de leurs chantiers pour avoir de l’impact.
Quel regard portez-vous sur vos années passées à la tête de Neobuild ?
En 2012, quand j’ai commencé à créer Neobuild et à en faire l’entité d’aujourd’hui, je n’imaginais pas qu’il faudrait déployer tant d’efforts pour faire bouger le secteur, ayant l’expérience de voir à quelle vitesse une entreprise peut réagir quand elle est sur son chantier pour trouver des solutions. Globalement, le secteur n’avance pas aussi vite que ce que j’avais imaginé, en particulier dans la voie du hors-site, alors que nous avons l’avantage au Luxembourg d’être un pays réactif, relativement préservé du lobbying que peuvent parfois représenter les grands industriels, et que nous pouvons compter sur le savoir-faire de nos artisans. L’innovation n’est qu’une considération parmi d’autres nécessités plus quotidiennes, mais notre devoir est de nous ajuster aux besoins réels, qui sont prêts à être développés et améliorés sans remettre en cause les cultures d’entreprise, et tout en gardant un œil attentif aux solutions plus disruptives qui verront le jour plus tard.
Mélanie Trélat
Article tiré du NEOMAG#40
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