Vers une déconstruction sélective
De plus en plus difficiles et coûteux à éliminer, les déchets ne sont aujourd’hui plus vus comme des matériaux sans valeur, mais comme des ressources à exploiter.
Interview de Christina Ehlert, Senior Environmental Engineer au Luxembourg Institute Of Science And Technology (LIST), et Charles-Albert Florentin, Manager du Cluster Ecoinnovation chez Luxinnovation
Pourquoi le recyclage des matériaux de déconstruction est-il un enjeu si important ?
C. E. : Le secteur de la construction a plusieurs raisons de s’intéresser au recyclage. La première est qu’il existe des objectifs réglementaires de recyclage à long terme en Union européenne et au Luxembourg. Fixés à 70 % d’ici 2020, ils devront être maintenus dans le temps. La deuxième est d’ordre environnemental : les ressources primaires diminuent et le Luxembourg n’en possède que très peu. Il faut donc réfléchir à réintégrer des matériaux déjà utilisés. La troisième porte sur l’élimination des déchets, devenue problématique, et pour laquelle les coûts associés vont inexorablement augmenter.
Quels sont les matériaux à valoriser ?
Ch.-A. F. : La majeure partie des déchets du bâtiment (hors terres excavées) est composée de déchets inertes. Le reste est surtout constitué de déchets non dangereux tels que fers et métaux, bois, plastique, verre, plâtre… L’ensemble de ces déchets, souvent exportés et/ou mis en décharge, n’est pas encore valorisé à son plein potentiel. En effet, malgré l’obligation de réaliser un audit préalable à la démolition, la séparation des déchets sur un chantier n’est pas encore suffisamment pratiquée. Le fait est que, par manque de place, il est difficile de multiplier les bennes sur chantier. Le personnel n’est pas non plus toujours sensibilisé et formé au tri. In fine, si les matériaux ne sont pas déjà séparés sur place, l’activité de tri et de recyclage devient compliquée et perd ainsi de sa rentabilité économique. C’est pourquoi il conviendrait d’envisager une politique de prix incitative sur les bâtiments à démanteler, en y intégrant le surcoût de la déconstruction et du tri.
Quel est le contexte réglementaire au Luxembourg ?
Ch.-A. F. : La loi du 21 mars 2012 relative à la gestion des déchets transpose en droit national la directive européenne 2008/98/CE. L’outil opérationnel de cette loi est le plan national de gestion des déchets et des ressources (PNGDR) qui prévoit, entre autres, la mise en place d’actions visant à mieux gérer et valoriser les déchets de chantier dans le cadre de la transition vers une économie circulaire.
Comment agir ?
Ch.-A. F. : Il faudrait dans un premier temps travailler en amont, au niveau des matériaux et de la conception des bâtiments pour éviter de produire trop de déchets. Une autre piste est le réemploi des matériaux récupérés et triés. C’est un des objectifs du projet ECON4SD, porté par l’Europe, le ministère de l’Économie, l’Université du Luxembourg et des entreprises luxembourgeoises. Ce projet s’intéresse à l’ensemble des problématiques liées aux bâtiments durables, incluant la gestion, la recyclabilité et le réemploi des déchets.
C. E. : Il est important de planifier la déconstruction d’un bâtiment de manière à pouvoir assurer un recyclage structuré et qualitatif. Pour cela le LIST en collaboration avec l’administration de l’Environnement a développé des outils pratiques pour clarifier comment organiser son projet de déconstruction en amont. Un point clé est la quantification des matériaux et l’identification du potentiel de réemploi et du recyclage. Ce planning permet de choisir le mode de déconstruction et la gestion des matériaux. Il existe plusieurs niveaux de recyclage et, sans tri sélectif, le recyclage ne peut être qu’un downcycling. Le travail de sensibilisation est nécessaire pour avancer sur ce point. C’est pourquoi le LIST a organisé récemment un workshop sur la déconstruction sélective dont le succès a démontré que les entreprises luxembourgeoises ont un intérêt et une volonté de s’organiser différemment.
Ch.-A. F. : Sur un chantier de démolition, des pinces crocodiles sont utilisées pour découper le bâtiment en morceaux et seuls les déchets les plus facilement valorisables tels que les fers et métaux sont récupérés. L’idéal serait donc de passer du concept de démolition à celui de déconstruction sélective. Ce serait un beau projet que de lancer une réflexion sur la remise sur le marché des ressources secondaires en créant une filière de réemploi locale et dans la Grande Région. Le projet Interreg Greater Green, par exemple, auquel sont associés Luxinnovation, le LIST et Neobuild, qui a pour vocation de mettre en relation les centres de recherche, les universités et les entreprises de la Grande Région, abordera, entre autres, en 2018 les problématiques de flux de matériaux de déconstruction et de masse critique à atteindre pour les recycler de manière rentable.
Mélanie Trélat
Source : NEOMAG #12
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