Comment on « végétalise » les villes

Comment on « végétalise » les villes

L’opposition classique entre ville et nature a aujourd’hui largement cédé la place à la « ville verte » dans les politiques de développement durable urbain.

C’est dans ce cadre que l’on assiste depuis les années 1990 à un renouvellement des actions dites de « verdissement » (ou greening) dans les villes. Ces dernières se fondent sur les effets prêtés à la végétalisation.

Il s’agit tout d’abord de faire face aux conséquences du réchauffement climatique, ce qui se traduit en zones urbaines par un objectif de réduction des îlots de chaleur urbains via la plantation d’arbres ou les toitures végétalisées. Plus largement, le verdissement vise à susciter des perceptions positives chez les citadins, en termes d’ambiance et d’une ville qui (s’)intègre (dans) l’environnement.

L’idée émerge ainsi de structurer l’espace urbain par cette sorte d’« hypernature », comme en témoigne le concours de projets du Grand Paris. Mais de quelle nature parle-t-on ? Un balancement continu apparaît ici entre une nature « maîtrisée » et une nature « sauvage ».

La place des espaces verts en ville

Les « espaces verts » sont une marque directement visible de la végétalisation en ville. La multiplication des projets qualifiés de « trame verte », « poumon vert » ou « ville verte » à Bordeaux, Lille, Lyon, Strasbourg, et bien d’autres aires urbaines, en est un signe.

Pour autant, on observe une variété de déclinaisons.

Il y a, par exemple, ces bandes végétales ou forestières peu structurées, choisissant de laisser la nature « telle quelle », à l’exemple du parc des Coteaux à Bordeaux. La « végétalisation spontanée » ne va toutefois pas de soi, et peut être interprétée par un riverain comme une carence d’entretien de la part des services municipaux, lorsqu’elle consiste à ne pas faire disparaître certaines « herbes folles ».

Parler, tel nombre d’élus, de « gestion différenciée » aux abords de certains équipements, places ou cimetières, c’est reconnaître la nécessité de toute une pédagogie et de démarches avançant pas à pas.

 

Il y aussi ces parcs, au contraire, très structurés qui s’organisent autour d’un ou plusieurs thèmes, avec des choix d’essences diversifiées : c’est le cas du parc de Borderouge à Toulouse, du jardin des Plantes de Montpellier ou de celui de Nantes. On repère également des parcs à dominante minérale, comme dans le cas du Peyrou à Montpellier.

La problématique du rapport entre « qualité » et « quantité » dans l’aménagement urbain végétalisé, c’est-à-dire entre les objectifs visant à proposer des sites de premier ordre et des espaces verts de proximité est un enjeu transversal. Dans plusieurs grandes villes (Nantes et Montpellier, par exemple), la « qualité » (de vie) est définie par la municipalité à travers la multiplication de petits espaces, suivant une « règle des 500 mètres » : au moins un square à moins de 500 mètres de toute habitation.

Une nature octroyée

Une nature octroyée apparaît ainsi. Il en va à la fois des choix de réalisation et de plantation, ainsi que des modes d’intervention de la collectivité quant à l’entretien des parcs urbains : utilisation ou non de pesticides, hauteur de tonte des pelouses permettant de préserver la faune et la flore, etc.

En particulier, le fait de ne plus employer de produits phytosanitaires a sensiblement progressé ces dernières années, avec une communication explicite, à l’instar de Strasbourg, où un nain de jardin proclame « les pesticides, on en a plein le nez ! ». Les espaces verts renvoient en effet directement aux représentations de la nature, alors que les solutions avancées sont situées dans l’ordre du politique et du social.

Les tramways urbains l’illustrent avec netteté. Ressuscités ces dernières décennies, ils sont érigés en marqueurs incontournables d’une « mobilité durable ». La végétalisation des emprises de tramway est devenue un lieu commun (on parle de « coulées vertes » à Strasbourg, de « ligne verte » pour la ligne 2 du tramway montpelliérain), de même que le peuplement d’arbres le long des voies.

Le projet de tramway passe ainsi par des négociations très concrètes, lorsqu’il est question d’abattre ou non des arbres, par exemple. Quant à l’engazonnement des plateformes, il constitue également un produit transactionnel, puisque ce verdissement « visible » n’est pas synonyme de gestion écologique : le gazon est très consommateur d’eau.

Initiatives citoyennes et nature appropriée

Les citoyens s’organisent peu à peu comme des acteurs de la nature en ville. Le mouvement des Incroyables Comestibles développe de site en site le semis libre d’accès de plants de fruits et légumes dans des lieux ouverts et des interstices urbains.

L’évolution d’anciens jardins familiaux ou ouvriers en des jardins partagés, c’est-à-dire gérés en commun par un groupe d’habitants, constitue un autre exemple, appuyé aujourd’hui sur un réseau national, le Jardin dans tous ses états. Dans plusieurs quartiers de Strasbourg, une convention a ainsi été conclue pour l’usage de l’espace entre la collectivité et des habitants constitués en association, et d’autres initiatives s’agrègent : l’installation de bacs de compostage crée des lieux d’échanges ; les pieds d’arbre, fleuris et entretenus par des collectifs de riverains, donnent à voir une nature identifiante.

Ces initiatives et leurs porteurs traduisent de facto l’interdépendance de la nature et du social. D’un côté, ils semblent rompre avec les cadres urbains de la nature ordonnancée (la pelouse, l’alignement d’arbres…), voire le modèle contrôlé du jardin, à la faveur de plus de « sauvage » (de vieux plants méconnus, l’absence de tonte pour favoriser la biodiversité, etc.).

 

De l’autre côté, ils confirment un ordre social et spatial, celui, tendanciellement, de classes moyennes gentrifiées faisant d’une sensibilité écologique et d’une consommation alternative le propre d’un certain entre-soi, pour l’habiter comme pour l’environnement de vie.

La « renaturation » d’espaces urbains traduit ainsi concrètement le paradoxe du rapport socio-individuel à la nature : si, à l’échelle globale, les interactions entre société et nature sont particulièrement intenses – jusqu’à évoquer une nouvelle ère géologique, l’anthropocène, dont les dérèglements climatiques porteraient l’empreinte –, en même temps la distance entre la plupart des citadins et la nature concrète s’impose plus que jamais.

Détachée du quotidien, cette dernière est vécue par procuration – pensons à des émissions de télévision : Ushuaïa Nature, Rendez-vous en terre inconnue ou Vu du ciel – ou de manière contemplative et dans un cadre de détente, à l’occasion d’une balade dominicale en forêt. Une nature médiée et pacifiée, donc, qui fait écran à une compréhension directe du fonctionnement des écosystèmes, alors que la ville pèse lourdement dans les flux de matières (ressources, énergie, déchets…).

Comment dès lors concilier ville et nature hors cette connaissance pratique ? Les programmes d’« éducation » au développement durable, qui se multiplient et mettent en avant des « écogestes » (tri des déchets, etc.), ne valent pas compensation à eux seuls, car ils désignent prioritairement le modèle de la nature contrôlée. C’est bien la présence pour tous d’une nature plus spontanée qui contribuerait à « reconnecter » les citadins, et c’est le défi d’une écologie populaire.

Auteur : Philippe Hamman, professeur de sociologie, Université de Strasbourg
Source : http://theconversation.com/

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Publié le vendredi 19 août 2016
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