Inciter les usagers à accroître leur performance énergétique
Inaugurée en juin 2018, la tour Elithis Danube de Strasbourg abrite 63 ménages depuis près de 11 mois. À travers leur choix d’y habiter, ses locataires s’engagent à développer un éco-comportement plus ou moins assidu, facilité par les choix constructifs et technologiques du bâtiment et encouragé par un système de récompense.
Retour sur la visite commune de la tour Elithis Danube
Cap Construction – Pôle de Compétitivité - Fibres - Énergivie - Neobuild
Trois niveaux de bureaux, 16 de logement et un « cœur social » composent la tour Elithis située à proximité des anciens docks de Strasbourg. Son coût de construction atteint 1 300 euros du m2 pour un investissement total de 20 millions d’euros.
Son approche « zéro facture énergétique » rend cette tour unique. Elle vient d’une forte volonté de lutter contre le dérèglement climatique, pour la transition énergétique, dans le respect du pouvoir d’achat, en réponse à la problématique de l’étalement urbain tout en contribuant à améliorer le vivre-ensemble. Le tout complété par une contribution positive du numérique (projet géré en BIM, incluant domotique et intelligence artificielle) et une haute qualité architecturale. Les 63 appartements sont équipés de solutions innovantes, telles que Flexi_FLOOR qui permet d’intégrer toute l’installation technique du logement dans un faux plancher visitable, ainsi que d’une sobriété de fonctionnement privilégiant un usage abondant des énergies renouvelables pour une balance carbone positive en exploitation. L’enveloppe du bâtiment est généreusement couverte de panneaux photovoltaïques :
- 405 m2 sur la façade sud (sur supports verriers jouant le rôle d’ombrières en filtrant l’intensité du soleil) ;
- 385 m2 sur la façade est (sur backsheet et ribons noirs afin de se fondre dans le vocabulaire graphique des façades imaginé par l’agence d’Architectes XTU) ;
- 443 m2 sur les toitures (aux dimensions standards, posées à plat) ;
- Production annuelle d’énergie renouvelable d’origine photovoltaïque de 177 000 kWhef, soit 112 % de ses besoins ;
- Diminution des rejets de CO2 réduite à 5,9 kg de CO2/m2/an, soit une division par 15 par rapport au parc existant (source Ademe, chiffres clés du bâtiment).
Pour permettre aux occupants de faire le meilleur usage possible de leur habitation, la tour s’est adjoint les services du génie Aladhun (Adaptive Learning Assistant Device for Home Usage Neutral), un coach numérique qui accompagne les ménages sans culpabilisation ou moralisation, et les familiarise aux bonnes pratiques. (Voir interview)
Trois questions à Thierry Bievre, président du groupe ELITHIS
Quel est l’objectif du dispositif incitatif PrEUVE (Prime d’encouragement aux usages vertueux de l’énergie) ?
Depuis 2003, on travaille de manière transversale et pluridisciplinaire. On a compris que tout n’est pas technologique ou technique, qu’il y a des comportements qui dépendent des représentations, de l’éducation et de la façon dont les citoyens vont s’approprier un objet. On s’est donc rapprochés du Laboratoire d’anthropologie expérimentale de l’Université catholique de Lille pour travailler avec des chercheurs et voir comment on pourrait engager les futurs occupants de la tour à être les acteurs et les bénéficiaires de leur propre éco-comportement. Nous voulions trouver une astuce pour que l’usager soit mobilisé tout en apprenant sur ses propres gestes. Pour ce bonus, nous ne voulions pas octroyer des euros, qui nous donnaient le sentiment d’acheter le comportement des occupants, et avons alors choisi la monnaie locale citoyenne de Strasbourg, les Stücks. L’idée est de récompenser dans un premier temps ceux qui sont dans la consommation de référence qui a été établie par les ingénieurs en matière de calculs et puis faire disparaître progressivement cette prime jusqu’à un plafond qu’on a déterminé à 30 % de la référence, c’est-à-dire que lorsqu’on dépense 30 % de plus que ce qui était prévu, on se retrouve démuni d’encouragement. Le travail réalisé avec les anthropologues nous a également permis de prendre conscience qu’une facture énergétique d’un montant de zéro absolu n’est pas suffisante pour amener les usagers à s’intéresser à leur éco-comportement. Il fallait laisser une petite marge à franchir par l’usager. On a donc laissé 80 euros annuels de dépenses énergétiques pour un appartement de type T3 (dans un logement classique en France, cette facture annuelle s’élève en moyenne à 1 600 euros), qui reste un petit talon qu’on leur propose de gommer. L’usager peut donc récupérer au maximum 30 % de la valeur de consommation de son logement, hors compensation photovoltaïque puisqu’on vend aussi de l’énergie, et récupérer jusqu’à 130 euros, montant calculé de façon proportionnelle et équitable en fonction de la position et de l’orientation de l’appartement. Ils sont accompagnés par une application domotique, Aladhun, qui les renseigne et leur permet de gérer leur habitation, au niveau du chauffage, de la ventilation, de l’éclairage, des stores. À partir des informations recueillies, l’intelligence artificielle permet de coacher l’usager sur les astuces qui lui permettraient d’accroître sa performance énergétique.
Peut-on déjà tirer quelques conclusions sur cet outil ?
Ce processus semble bien fonctionner puisqu’aujourd’hui, après 10 mois et demi d’occupation, on obtient des résultats intéressants. On remarque aussi qu’on a à peu près la même proportion d’usagers qui sont très compétitifs entre ceux qui ont signé la charte PrEUVE (20 ménages sur les 63 de la tour) et ceux qui ne l’ont pas signée. Cela montre que le bâtiment engendre par lui-même des éco-comportements et un niveau de confort qui permet de faire des économies d’énergie hors normes. On aura évidemment l’occasion de faire un bilan plus global au terme de la première année d’occupation.
Votre groupe semble ouvert au partage de ses nouvelles technologies à l’international. C’est important pour vous ?
Le groupe Elithis a un ADN de pionnier et d’explorateur. Notre rôle n’est pas de faire rente de nos avancées, mais de répondre aux grands défis du XXIe siècle : dérèglement climatique, crise énergétique, mieux vivre ensemble, etc. Ce qui nous intéresse en tant qu’ingénieurs et scientifiques, c’est d’aller plus loin. On veut simplement aiguiser notre agilité et notre compétitive grâce à ces challenges qu’on se donne, parce que construire une tour sans facture énergétique à coût standard de construction reste une première mondiale. On aime faire savoir nos avancées, communiquer sur nos résultats, pour que d’autres s’en emparent et qu’il y ait une sorte de communauté dans le secteur de la construction, de la conception, qui puisse rebondir et créer de la valeur pour que demain les villes soient plus durables, plus désirables et qu’elles impactent moins l’environnement et la biodiversité.
Marie-Astrid Heyde
NEOMAG#20
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