La fin du confinement mais dans quelles conditions ?
Une carte blanche de Leif Chiotis, Brand Manager de Boydens Engineering
On ne peut que se réjouir des annonces du début de la fin de cette période où nos entreprises et notre vie reviendront graduellement à la normale par l’annonce de la fin du confinement. Pour autant je ne pense pas que la reprise soit possible uniquement parce qu’on on a lissé la courbe, qu’on a réduit le nombre de cas et que la tension qui régnait dans les hôpitaux s’est calmée. Tant qu’il n’y aura pas de vaccin et qu’au moins 2/3 de la population ne sont pas immunisés, on sera toujours sur le fil du rasoir.
On ne peut que féliciter le gouvernement pour toutes les mesures mises en place et de la gestion de la crise. Il n’est pas question de polémiquer mais de faire le constat d’une précipitation du calendrier annoncé lors de la conférence de presse du 15 avril.
Le secteur du bâtiment qui fait tourner une partie importante de l’économie du pays sera le premier à reprendre son activité ce lundi 20 avril. En même temps et pour ceux qui vont rester dans le confinement ils pourront se rendre dans les magasins de bricolage afin de pouvoir s’occuper le temps qu’arrive leur tour au déconfinement.
Comme tout le monde nous avons réduit nos liens collaboratifs physiques en privilégiant le télétravail ou l’alternance, les distances de sécurité dans les bureaux, les dispositions et dispositifs sanitaires. Alors oui réjouissons-nous d’une annonce rapide mais est-elle bien préparée par tout le monde !?
À compter d’aujourd’hui, le port du masque est obligatoire ou plutôt se couvrir la bouche. On nous a expliqué que l’État avait constitué un stock de masques qui sera distribué aux services essentiels et que les communes seront approvisionnées pour faire une distribution à leurs administrés dans un délai maximal de deux semaines.
Questions pratiques
Dans le bâtiment la majorité des ouvriers ne sont pas des nationaux et les gouvernements de leur pays ne distribueront pas de masques à la population comme le fera l’État Luxembourgeois. Les employeurs suite à cette annonce et à deux jours ouvrables de la reprise doivent être en mesure pour le lundi 20 avril de mettre en place des mesures et des moyens de protection individuels de leurs employés. Est-ce qu’une protection non conforme sera considérée comme suffisante alors que les entreprises n’arrivent pas à s’approvisionner et en cas de contamination qu’en est-il de la responsabilité de l’employeur ? L’approvisionnement en équipements de protection individuels a été et reste compliqué pour tous les secteurs de la santé évidemment et incontestablement prioritaires mais qui de par leurs besoins tendent le marché. Sachant que les fournisseurs ont des difficultés à s’approvisionner ils annoncent au mieux des délais de trois semaines, au pire deux mois. Alors lundi combien d’entreprises du bâtiment ne seront pas en mesure de répondre à leurs obligations, à quel prix et si elles ne sont pas prêtes le chômage partiel sera à la charge de qui ?
Pour les mesures de protection individuelles, sachons que les ouvriers de la construction, surtout les grandes entreprises, ont pour principe le ramassage des ouvriers par des camionnettes de 4 à 12 passagers et pour les grands chantiers ont pour certains recours à des bus d’entreprise. Pour les secteurs des installateurs ou du second œuvre les questions sont moins lourdes étant donné qu’en général c’est une camionnette pour 1 à 3 ouvriers. Finalement ces véhicules devront être décontaminés régulièrement et plus minutieusement s’ils sont dans un parc de véhicules à utilisation non attitrée. Sur les chantiers se pose la question des vestiaires et des repas dans les conteneurs des installations de chantier. Alors qu’on prône de la distanciation sociale comment ces entreprises pourront les appliquer et à quel coût ?
Capital humain…
Le coût humain est le premier à garder à l’esprit, il n’est pas question de brader les mesures de protection. Avant la crise au Luxembourg le secteur de la construction était sous tension d’une part par l’activité soutenue, de par la pénurie de personnels qualifiés et de par les coûts de main-d’œuvre qui ne cessent d’augmenter. Alors il est capital pour les employeurs de ce secteur d’être en mesure de faire face à leurs responsabilités et devoirs pour leurs personnels. Auquel cas une deuxième vague d’épidémie aura raison d’un arrêt de l’activité de l’entreprise, au pire la perte d’un personnel précieux.
Comme évoqué plus tôt, le personnel est majoritairement frontalier et chez nos voisins la reprise ne s’applique pas au même calendrier, de ce fait pour ceux qui reprennent leur travail et qui ont des enfants qui ne reprendront le chemin des classes hypothétiquement qu’en mai auront à trouver des solutions pour garder leurs enfants.
Le coût financier, tous le subissent de plein fouet et malgré les aides de chômage partiel, les pertes, les charges fixes et les manques à gagner ne sont pas supportés. Le coût horaire au Luxembourg ne cesse d’augmenter suivant la hausse du coût de la vie. Pour autant la concurrence est féroce et s’ajouteront aux coûts horaires actuels les coûts des mesures de protection indispensables, dans un marché et une économie mondiale qui ne se réveillera pas comme la fleur de printemps qui se réveillait avant la mi-mars 2020.
… et prix aléatoires
Pour limiter cela il aurait fallu également imposer d’autres mesures, des mesures de régulation des prix des équipements de protection individuels. Afin de répondre à nos obligations d’employeurs depuis l’annonce de ce 15 avril, il a fallu et il faut trouver des moyens de protéger nos personnels. Certes un bureau d’études n’est pas une entreprise de construction mais nous sommes amenés à exposer les personnes qui sont en notre contact. Pour répondre dans l’urgence j’aurais pu appliquer mon expérience que j’ai partagée sur Linkedin de détourner des sacs d’aspirateur en masques ?
Pour faire les choses correctement et pour rassurer tant notre personnel que nos partenaires, clients et les entreprises qui travaillent sur nos projets, les solutions doivent être à la hauteur de l’ampleur de la situation.
Je me suis rendu dans une pharmacie pour acheter de quoi permettre la reprise lundi vu que tous les fournisseurs sont dépassés par les demandes. On ne vous vend qu’une seule boîte de 50 alors qu’il m’en faudrait 150 par semaine, du coup il faut se déplacer dans plusieurs pharmacies qui fixent les prix de 60 à 175€ la boîte de 50 ! Je vous laisse faire vos opinions sur le prix des masques et du gel, comme quoi il faut croire que la sécurité n’a que la limite des moyens qu’on veut y consacrer et que certains s’engraissent, profitant de la situation.
Alors pensons à ces entreprises du bâtiment qui ont offert leurs stocks au début de la crise et qui pour certaines vont en consommer entre 500 et 1000 par jour, attendant impatiemment des masques européens que nous n’arrivons toujours pas à produire en quantité. Privilégiant une importation provenant de Chine et qui au prix de gros ont fait un bond de 3000%, comme quoi la place avion-cargo coûte plus cher qu’une première classe affaires !
Avoir le nécessaire
Ce n’est donc pas une critique envers l’action du gouvernement qui a été exemplaire dans la gestion de la crise, mais une critique de l’annonce d’un calendrier qui ne permet pas au secteur du bâtiment d’avoir le temps d’organiser au mieux et sans cafouillages, craintes et critiques, la reprise dans meilleures conditions de sécurité.
Ceci également pour laisser le temps à ceux qui maintenant vont devoir distribuer ces masques et encore sans précisions quant aux quantités et aux délais d’approvisionnement qui ne seront certainement pas au rendez-vous ce lundi.
On aurait espéré d’abord voir l’ensemble des acteurs de la construction disposer du nécessaire pour permettre non seulement de protéger la santé des employés et collaborateurs, mais également permettre un répit au secteur hospitalier qui l’a tant mérité.
Courage aux entreprises, promoteurs et tous les acteurs du bâtiment !
Article de Leif Chiotis, Brand Manager chez Boydens Engineering