La valeur ajoutée des fonctions nobles
Bruno Renders a créé et développé l’IFSB et, comme administrateur-directeur général du Conseil pour le Développement Économique de la Construction (CDEC), il met en œuvre une stratégie intégrée du secteur de la construction, en s’appuyant sur des entités complémentaires, comme Neobuild. Ardent défenseur, depuis des années – bien avant que le green soit « à la mode » -, des valeurs du développement et de la construction durables, il insiste beaucoup sur les fonctions nobles et nouvelles du bâtiment.
« Il semble clair que, dans l’émergence de nouveaux modèles économiques, le décloisonnement des secteurs d’activité, autour d’une vision claire et durable, donne un rôle-clé au secteur du bâtiment au sens le plus large. Il contribue largement à la transition, écologique, énergétique, sociétale, en contribuant au développement de villes et de quartiers résilients, notamment en intégrant les fonctions nobles dans les concepts de conception de bâtiments et dans l’interaction entre eux », explique-t-il.
Dans cette approche, qui n’a rien de théorique puisque les technologies et bonnes pratiques qui l’accompagnent sont matures, le bâtiment n’est plus passif, il est actif, multifonctionnel, plus productif que consommateur. Il est aussi positif par l’impact qu’il génère sur l’environnement, la biodiversité, le bien-être de ses occupants.
L’usager au centre
« L’usager est à la fois la cible et le cœur du changement. On parle du travailleur ou du résident, du citoyen, du groupement d’occupants – dans un immeuble, un quartier, une ville - et de l’impact sur une économie circulaire, collaborative, intelligente. Cela exige, en effet, un décloisonnement des comportements, une décentralisation en faveur de l’usage collectif, à l’échelle d’un quartier par exemple, une logique de cogestion, de circuit court, où la traçabilité et le monitoring sont garants de l’intérêt général ».
Ainsi, les fonctions de base deviennent nobles. Le bâti, autrefois gros consommateur d’énergie dans tout son cycle de vie, peut se thermoréguler et, surtout, produire, stocker et distribuer de l’énergie, dépassant l’autoconsommation pour aller vers la consommation partagée, par l’interconnexion, les réseaux électriques intelligents – smartgrids. Par exemple, les panneaux photovoltaïques en bardage de façade peuvent être à la fois des éléments d’isolation, de décoration, de production renouvelable. « Que l’on pense aux milliers de mètres carrés disponibles en façades… Cela fait partie des adaptations possibles, au simple prix d’adaptations d’ordres urbanistique, architectural, voire administratif ».
Cette logique de multifonctionnalité et de production partagée peut s’appliquer un peu partout dans le « bâti ». C’est plus que dans le vent ou l’air du temps : il y a des enjeux – et des solutions - pour l’épuration de l’air, la récupération de chaleur, la ventilation mécanique… ou naturelle grâce notamment aux murs végétalisés, l’hygrométrie… « Idem pour l’eau dont on peut adapter la distribution, la circulation, la récupération ou/et le traitement, donc la qualité adaptée aux besoins, selon l’usage alimentaire ou l’usage domestique ».
Aux services de…
Les fonctions nobles rejoignent, notamment, les notions de « building as a service ». Et cela peut aller très loin dans la conceptualisation. Si un immeuble peut contribuer à dépolluer l’air, il peut aussi, par exemple, devenir une source de production alimentaire – avec des jardins partagés ou des serres, en toiture, mais aussi adossées aux immeubles où elles pourraient puiser leur énergie verte - comme le promeut l’urban farming par exemple. Ou comme, tout simplement, le nombre de mètres carrés potentiellement utilisables dans le pays pourrait y inviter.
« Le Luxembourg a tout du laboratoire idéal pour toutes ces approches, interpénétrées. Nous sommes à une échelle où la microéconomie rejoint la macroéconomie. Mais si l’émergence de la ville résiliente s’inscrit dans un mouvement de décentralisation, avec une gestion des ressources à l’échelle d’espaces partagés, dans une logique de circularité, tout cela doit s’inscrire dans un écosystème dynamique et vertueux. Dans ce système décloisonné, la finance a un rôle à jouer.
On parle ici d’investissements, de fonds verts, une voie bien amorcée ici ! Mais on parle aussi de logique économique, de business models qui évoluent en interdépendance. Et donc aussi de prix, ou plutôt d’indicateurs de valeur, comme l’empreinte carbone. Cela permettrait de rééquilibrer les échanges, entre l’offre et la demande, entre la tomate que l’on fait venir de loin et la tomate produite dans son quartier intelligemment équipé. Des mesures incitatives – plutôt que contraignantes – seraient intéressantes dans ce modèle. Si un promoteur met en œuvre une unité de dépollution de l’eau à l’échelle d’un quartier ou un réseau de chaleur commun, sa contribution doit pouvoir être valorisée dans la durée. On s’inscrit davantage dans une logique de services en repensant les divers usages associés à la propriété de chacun ».
Alors, dans une économie où la valeur ajoutée est une vertu cardinale, qui s’apprécie et se taxe, une autre vision de la valeur ajoutée donnerait sans doute encore davantage de noblesse aux fonctions les plus nobles.
Alain Ducat
Photos : Fanny Krackenberger
IFSB Partenaire Infogreen
Artilce tiré du dossier du mois « Génération constructive »