Le logement, un « vaste chantier » : retour sur la Matinale de la Fondation IDEA
La Matinale consacrée à l’épineuse problématique du logement au Luxembourg a battu des records de fréquentation avec plus d’une cinquantaine de participants.
Tellement que nous avons presque eu peur de ne pas savoir où… les loger. Économistes, banquiers, politiques, fonctionnaires, journalistes et surtout citoyens propriétaires ou locataires, jeunes ou moins jeunes, résidents ou frontaliers, sont venus écouter les analyses et pistes de réflexion d’IDEA qui, pour l’occasion, avait invité François Peltier, responsable « Population et logement » au STATEC, à apporter un point de vue d’expert sur les besoins en logement à l’aune des évolutions démographiques passées et à venir. Vous trouverez sous ces liens les deux présentations qui ont servi de supports aux intervenants : présentation IDEA et présentation de François Peltier du STATEC. Car si la thématique intéresse, elle interroge plus encore. Constructives, parfois irritées, les réactions n’ont pas manqué lors de la traditionnelle session de Questions/Réponses dont nous vous livrons ici un florilège.
En premier lieu, l’impact possible sur les prix de projets immobiliers luxueux a été soulevé. Marc Wagener – directeur des affaires courantes de la Fondation IDEA asbl, a répondu que la demande immobilière au Luxembourg étant hétérogène, l’offre l’est également. Ces projets sont destinés à être habités par une clientèle haut de gamme (plus qu’à des « résidents fiscaux » comme la question pouvait le laisser entendre). Cette cible, qui représente une minorité des nouveaux ménages, fait aussi partie de celle que Luxembourg veut attirer pour développer son économie du savoir et son « expertise ». Pour assurer son attractivité, un tel segment de marché de niche haut de gamme est nécessaire (voir Singapour, Hong Kong). Un sujet important, distinct cependant des études IDEA présentées lors de la Matinale, qui portent sur le « commun des mortels ».
Puis, la réticence des propriétaires bailleurs potentiels a été évoquée comme principale limite à une meilleure occupation des logements sous occupés. L’exemple de l’Université a été cité avec l’échec relatif du projet qui visait à faire loger les étudiants chez des personnes âgées en raison de certains a priori et des investissements requis pour rénover les chambres. Pour Sarah Mellouet, une campagne de communication ciblée, démystifiant la figure classique du colocataire étudiant, en valorisant plutôt celle du jeune actif, pourrait rassurer et convaincre.
D’autres pistes impliquant largement les pouvoirs publics, notamment communaux, dans une meilleure mobilisation du foncier ont été soulevées : la simplification des plans d’aménagement généraux (PAG), qui comportent des éléments « trop » restrictifs tels qu’un nombre minimal d’emplacement de parking par logement, et des logiques administratives plus homogènes d’une commune à l’autre ; la bonne utilisation des mesures existantes pour lutter contre la vacance – un participant a cité à ce propos l’Agence immobilière sociale, qui est parvenue à remettre sur le marché des logements vacants ; la constitution d’une réserve foncière publique pour mobiliser des terrains (majoritairement aux mains des particuliers) avec l’idée (avortée jusqu’à présent) de « créer une ville nouvelle »… Un autre intervenant a mis en relief divers manquements de la politique luxembourgeoise en matière de logements : un droit de propriété vétuste et plus généralement un excès de réglementation, la gestion des autorisations de bâtir, un aménagement du territoire défaillant, une croissance économique exclusivement quantitative (ne s’appuyant pas assez sur les gains de productivité), les propriétaires terriens avantagés par rapport aux propriétaires loueurs, l’incidence de la réglementation bancaire accrue, etc. D’autres intervenants ont, eux, insisté sur la dimension « Grande Région » du problème… et des solutions.
Sur le facteur « prix », il aurait selon un intervenant été occulté dans nos analyses et l’importance de l’augmentation de l’offre, surestimée. On ne pourrait pas parler au Luxembourg d’un « marché immobilier », où sévirait plutôt une « dictature des propriétaires ». Sarah Mellouet a répondu à ce propos que la promotion d’une meilleure occupation du parc immobilier visait à exercer une pression à la baisse sur les prix pratiqués avec des mises sur le marché venant dynamiser l’offre. La recommandation relative aux exonérations de revenus issus de la location d’une chambre chez soi en contrepartie d’un loyer raisonnable en est un exemple. Enfin, si l’absence de droits de succession en ligne directe, susceptible de nourrir la vacance et d’entraver la répartition optimale du patrimoine, semble être une « vache sacrée » au Luxembourg, elle gagnerait à être discutée selon certains intervenants.
Mais, finalement, cette augmentation des prix ne serait-elle pas aussi le reflet d’une économie qui va bien ? À cette question, Monsieur Julien Licheron, directeur de l’Observatoire de l’Habitat, a répondu que cela restait positif tant que le décrochage par rapport aux revenus n’était pas trop marqué. Globalement, sur la dernière décennie, la croissance des revenus a été moindre que celle des prix du logement. Il a également soulevé que sur la dernière décennie, un sous-ensemble de personnes dont les revenus ont crû plus vite que la moyenne, a alimenté la demande.
S’il n’y a pas, comme l’affirme le STATEC, de déficit avéré de logements, en revanche un déficit de logements sous la forme d’une demande potentielle insatisfaite du fait des prix prohibitifs peut être postulé : personnes en foyers, colocations subies, jeunes demeurant longtemps chez leurs parents, occupation d’un logement ne correspondant pas aux attentes initiales, etc. Une demande potentielle est de la sorte dissimulée et demeure latente. François Peltier (STATEC) a répondu qu’il était difficile de prendre la mesure de ce phénomène, ne fut-ce qu’en raison de l’absence à ce stade de données sur la colocation.
La conclusion s’est voulue innovante et optimiste avec l’intervention du coordinateur de l’association Cohabit’AGE qui promeut l’habitat intergénérationnel. Il est satisfait des 12 binômes formés récemment, soulignant que les habituelles réticences des personnes âgées commencent à s’estomper. Puis il a évoqué le projet Habitsol qui vise à favoriser la cohabitation d’individus issus de générations différentes – renvoyant à la « silver economy », mentionnée par un autre participant. Enfin, il a insisté sur le fait que le projet était également ouvert à des investissements socialement responsables pour les entreprises, en échange de quoi des logements sont réservés à leurs stagiaires et juniors. Une représentante d’une banque, présente à la Matinale, nous a contactés dans la foulée pour une mise en relation dans le cadre de leur politique d’impact investing.
Source : Fondation IDEA