Le village où les habitants gèrent eux-mêmes l’énergie du soleil
A Puy-Saint-André, une société d’économie mixte co-financée par les habitants produit de l’électricité « propre ». Reportage, réalisé par le mensuel le Ravi, dans ce petit village alpin où l’utopie prend forme…
Puy-Saint-André (Hautes-Alpes), reportage
Le ciel est d’un bleu éclatant, les montagnes aussi verdoyantes que majestueuses. Mais le fond de l’air est frais. Perché à 1 400 mètres d’altitude au-dessus de Briançon, le petit village du Puy-Saint-André, à peine 500 âmes, ne paie pas de mine. Sauf à lever les yeux pour remarquer qu’ici, les toitures de tôle ont tendance à être remplacées par des panneaux solaires. En 2008 déjà, Puy-Saint-André recevait le prix de la troisième commune la plus équipée en solaire thermique.
Renaud Néroux a installé sur son toit des capteurs solaires pour se chauffer : « Avec 300 jours de soleil par an, il serait bête de ne pas en profiter. » 2008 coïncide aussi avec l’élection de l’écologiste Pierre Leroy à la mairie. Il fait vite parler de lui grâce au montage d’un projet innovant, revendiqué comme unique en France à son lancement en 2010 : le SEML SEVE pour« Société d’économie mixte locale Soleil eau vent énergie ». A la base rien de sorcier : créer une structure publique d’investissement dédiée à la production d’énergies renouvelables. L’originalité vient de la possibilité pour les particuliers, du village mais aussi d’ailleurs, d’entrer au capital en achetant des actions à 300 euros l’unité. A la création, une trentaine de foyers ont joué le jeu en détenant près de 10 % de la SEM. Cinq ans et une recapitalisation plus tard, ils sont désormais 54.
Énergie citoyenne
Faire, imaginer avec les citoyens, « les collectivités en ont rarement l’habitude et les SEM n’ont pas envie de se compliquer la vie avec la gestion de particuliers », commente Arno Foulon, animateur en Paca du mouvement Énergie partagée, qui milite pour une « énergie citoyenne » et actionnaire de la SEM SEVE. Bénéficiaire après seulement deux ans d’activité, la société exploite aujourd’hui quinze centrales solaires édifiées sur des bâtiments publics qui produisent par an 365 megawatts-heure, revendus à EDF. L’équivalent de la consommation de 150 foyers.
Et pour l’instant, tous les bénéfices sont réinvestis. La SEM a dû aussi rapidement se recapitaliser, en 2013, pour faire face à de nouveaux investissements. De 100 000 euros, le capital est passé à 870 000 euros avec l’entrée de deux communes voisines mais surtout de la communauté de communes du Briançonnais, à hauteur de 250 000 euros.
Toiture photovoltaïque de l’école de Mi-chaussée à Briançon
Car c’est là le tour de force qu’a réussi Pierre Leroy : essaimer sa bonne idée participative sur le territoire. Une croissance qui a aussi posé des interrogations auprès de quelques citoyens actionnaires : « Certains se sont demandés où allait la SEM, si elle n’était pas en train de devenir un gros machin plutôt qu’une petite structure qui resterait cantonnée au village, explique Jacquie Houdoin, représentant des actionnaires citoyens. Mais c’est bien de pouvoir en débattre et de faire remonter ces choses-là. Car il n’y avait pas d’obligation statutaire à représenter les citoyens. Nous avons notre mot à dire. »
La SEM a d’autres projets de production d’énergie, notamment le turbinage d’eau potable.« Nous avons démarré sur les panneaux solaires car cela nous permettait d’être rentable assez rapidement mais c’est tout de même loin d’être la panacée : les matériaux nécessaires à leur construction sont rares et pas vraiment durables... Et on insiste sur la production d’électricité mais ce sont d’abord vers les économies d’énergie qu’il faut se concentrer », commente Pierre Leroy.
Volonté politique
Ancien cadre de santé, il a tout lâché pour l’action publique. L’écolo « militant », comme il se décrit lui-même, a su se faire respecter des responsables politiques locaux. En témoigne sa nomination à la présidence du Pays du grand Briançonnais, un échelon administratif qui regroupe quatre communautés de communes et récent lauréat de l’appel d’offre national« Territoire à énergie positive » qui ouvre la porte à des subventions de l’Etat. « C’est un écologiste pragmatique, rigole Joël Giraud, député-maire de l’Argentière-la-Bessée, commune actionnaire de la SEML SEVE. Il a une expérience locale, une crédibilité personnelle, il est sérieux et convaincant... donc bien perçu par tout le monde. »
Une volonté politique qui selon le principal intéressé est à la base de ce projet local et citoyen de production d’énergie renouvelable, encore très rare en France. Il oublie une particularité du territoire : le producteur et distributeur d’électricité du coin, l’EDSB, qui détient 35 % du capital de la SEML SEVE, est détenu à plus de 50 % par la mairie de Briançon, le reste par EDF. Ce qui facilite beaucoup les choses au plan technique.
« C’est vrai que sans cela, le projet aurait été plus compliqué à monter, acquiesce Jacquie Houdoin. Mais ce n’est pas une raison pour ne pas être inventif, on essaie d’aider des copains ailleurs en France qui ne peuvent pas s’appuyer sur une structure comme l’EDSB. Il est primordial que nous tous, localement, participions à la gestion de l’énergie, que nous nous approprions cette question. » L’énergie par le peuple, pour le peuple.
Lire aussi : La transition énergétique sera citoyenne ou ne sera pas
Source : Article transmis amicalement par le mensuel Le Ravi .
15 juillet 2015 / Clément Chassot (Le Ravi)