
Omnibus : La carte blanche de Jeannot Schroeder
La Commission européenne a récemment annoncé le paquet Omnibus qui vise à réduire les formalités administratives et simplifier les règles européennes concernant le devoir de vigilance et le reporting en matière de durabilité, entre autres. Nous avons demandé à Jeannot Schroeder de +ImpaKT de donner son point de vue sur cette annonce.
Moins de règles, moins d’impact ? Pourquoi les entreprises ne doivent pas attendre la réglementation pour agir
La réglementation prévue initialement dans le cadre de la CSRD était particulièrement lourde en termes d’exigences de documentation et de reporting. Conçue pour apporter plus de transparence, elle s’est rapidement transformée en une véritable usine à gaz, avec des obligations complexes et détaillées, rendant son application difficile, notamment pour les PME. Il n’est pas étonnant que les grandes entreprises de consultance et d’audit aient largement contribué à la rédaction de ces règles. Peut-être y voyaient-elles un intérêt économique, en rendant les entreprises dépendantes de leurs services pour naviguer dans cette masse de contraintes administratives ?
Face à ces critiques, l’Europe a voulu alléger la réglementation avec la proposition Omnibus. Mais cette simplification, présentée comme un progrès, soulève de nouvelles inquiétudes. En relevant les seuils d’application, elle exclut désormais de nombreuses entreprises du cadre réglementaire. Seules celles dépassant 1.000 employés, au lieu de 250, ou réalisant un chiffre d’affaires net de plus de 50 millions d’euros, contre 40 millions auparavant, seront soumises aux obligations de reporting. Ce changement laisse des milliers d’acteurs économiques hors du radar de la transparence environnementale et sociale. Les entreprises non européennes bénéficient également d’un assouplissement, puisque seules celles générant plus de 450 millions d’euros de chiffre d’affaires dans l’UE devront rendre des comptes, offrant ainsi une opportunité aux multinationales de restructurer leurs activités pour échapper à ces obligations.
S’ajoute à cela un report de deux ans des obligations de reporting, alors que l’urgence climatique exige des actions immédiates. De plus, les PME sont désormais exemptées de toute obligation de transparence, affaiblissant la traçabilité des chaînes d’approvisionnement et réduisant la qualité des données disponibles pour mesurer l’impact global de l’économie. Enfin, la suppression des obligations sectorielles empêche d’adapter les exigences aux spécificités de certaines industries à forte empreinte écologique, comme l’énergie, le transport ou la finance.
Certes, cette nouvelle version allège la charge administrative, mais à quel prix ? Nous faisons comme si mesurer et documenter les impacts était une contrainte inutile, alors que c’est précisément ce manque de transparence qui freine la transition écologique. Ce que nous ne mesurons pas, nous ne le maîtrisons pas. Ce que nous ne surveillons pas, nous le laissons s’aggraver.
Mais le vrai problème ne vient pas seulement de la réglementation elle-même. Faut-il toujours attendre qu’une loi nous oblige à agir ? Une réglementation est, par définition, le reflet d’un consensus minimaliste, établissant un cadre commun sans pour autant inciter à l’ambition. La vérité, c’est que même avec la CSRD initiale, rien n’obligeait les entreprises à faire mieux, seulement à publier leurs impacts. Mais mesurer sans agir ne sert à rien.
Cette proposition ne doit pas être une excuse pour réduire les ambitions des entreprises. Au contraire, c’est une opportunité pour celles et ceux qui veulent aller plus loin et se différencier par un impact positif. Les entreprises qui prennent de l’avance aujourd’hui en intégrant des modèles régénératifs et une gestion responsable des ressources subiront moins les évolutions réglementaires, elles les devanceront. Elles ne verront pas la durabilité comme une contrainte administrative, mais comme un moteur d’innovation et de compétitivité.
Les leaders du marché ne sont pas ceux qui attendent que la loi leur impose des obligations, mais ceux qui prennent l’initiative et transforment leur modèle économique vers une vraie économie circulaire comme un levier de valeur. Investisseurs, clients et talents recherchent de plus en plus des entreprises engagées et porteuses de sens. Plutôt que de nous interroger sur ce que la loi nous oblige à faire, demandons-nous comment nous pouvons aller plus loin. Car l’avenir appartient à ceux qui choisissent d’avoir une longueur d’avance.
Texte de Jeannot Schroeder
Photo : Picto Communication Partner / Eve Millet