Penser les bâtiments comme s’ils n’avaient jamais existé
Initiée par l’administration des Bâtiments publics, la construction du lycée technique pour professions de santé à Ettelbrück, projet pilote répondant au concept d’énergie positive et écologique, se poursuit et sera livré en 2019.
Rencontre avec Gilles Christnach, administrateur délégué du bureau d’ingénieurs-conseils BETIC
Un bâtiment à énergie positive certes, mais quelles sont les particularités de cette construction ?
Le lycée technique pour professions de santé à Ettelbrück sera un des plus grands bâtiments multifonctionnels en bois sur le territoire, ceci aussi bien sur base de sa surface construite que de par sa hauteur. Conçu selon les principes définis pour les constructions à énergie positive, il intègre également dans sa conception l’énergie grise.
Les études menées ont conduit à des choix innovants : système constructif presque entièrement en bois, panneaux en argile pour les cloisons intérieures, éléments de dalle novateurs, ventilation des locaux assurée par un système hybride innovant, isolation thermique poussée et utilisation passive de l’énergie solaire…
Peut-on parler d’une nouvelle approche dans la conception ?
Je le pense. Nous avons pensé ce bâtiment comme une centrale de production et de stockage d’énergie. En anticipant l’étude stratégique de Troisième révolution industrielle, nous avons intégré l’aspect énergétique du cycle de vie complet. L’objectif ultime et conséquent pour tous les bâtiments sera cependant d’imaginer des constructions avec un footprint de 0, voir négatif, incluant une réutilisation en boucle fermée de tous les matériaux.
De nombreuses réflexions, allant bien au-delà des techniques habituellement utilisées, ont été menées pour concrétiser ce projet.
Un footprint de 0, réalité ou objectif à atteindre ?
Le niveau d’exigence est élevé. Le projet vise la certification très rigoureuse Minergie-P-ECO, un label qui au-delà de prendre en compte les critères d’énergie et de confort, intègre l’utilisation de matériaux écologiques et l’interdiction de produits nuisibles à la santé. C’est donc un challenge mais tous les intervenants sont mobilisés pour apporter des solutions.
Beaucoup de particularités marquent cette construction comme la mise en place de colonnes ballastées pour renforcer le sol, en lieu et place de pieux en béton. Outre son intérêt purement technique, cette méthode ne génère pas de déblais et ne nécessite pas de liant hydraulique. Le bilan carbone est donc bien meilleur que celui des méthodes de fondations nécessitant du béton.
Et côté production et stockage d’énergie ?
Outre l’installation photovoltaïque intégrée en toiture, je pourrais parler du réservoir saisonnier que nous avons installé début novembre, qui est d’ailleurs le plus grand du type installé dans un bâtiment fonctionnel au Luxembourg. Ce dispositif de chauffage, imaginé spécifiquement pour le projet s’inscrit pleinement dans le concept global. Grâce à lui, le bâtiment est chauffé principalement par le soleil. Dans les façades sud-est et sud-ouest, des collecteurs solaires plats, d’une surface cumulée d’environ 350 m2, sont intégrés verticalement. Ces collecteurs chauffent le réservoir saisonnier qui est installé dans la cage d’escalier.
Ce réservoir d’une hauteur de 20 m et d’un diamètre de 3,1 m avec isolation, offre une capacité de 91 000 litres. Pendant la période estivale, le réservoir est chauffé jusqu’à une température d’environ 95°C. L’énergie ainsi stockée est utilisée en hiver pour alimenter la quasi-totalité des circuits de chauffage.
Des ventilo-convecteurs, très basse consommation électrique, permettent également de puiser l’air frais des couloirs et de le pulser dans les autres locaux. Le couloir fait ainsi office de gaine de ventilation, ce qui permet d’éviter un système classique et complexe de gainage métallique.
L’air des zones les moins occupées sert donc à ventiler et chauffer les autres espaces ?
Oui, c’est exactement ça. Les couloirs faisant seulement office de zones de circulation, nous avons cherché des solutions pour exploiter au maximum l’air froid et chaud qui y circule. Pour cela, nous avons inventé un appareil qui aspire l’air frais dans la zone basse du couloir et qui la redistribue dans les salles de classe. Parallèlement, une ouverture de transfert permet d’évacuer l’air chaud des salles dans le couloir.
Ces ventilateurs ne consomment quasiment pas d’énergie. Nous avons réalisé différentes études et établi le cahier des charges. Après validation par un bureau d’expert mandaté par l’administration des Bâtiments publics, qui nous a apporté tout son soutien sur ce projet, nous avons lancé un appel d’offres international. Un prototype a ensuite été construit puis testé par l’entreprise retenue.
Finalement, les clés de la réussite ?
Le lycée est un bâtiment pilote et les bilans ne sont pas définitifs mais la clé du succès est très clairement la planification intégrale. Il faut être honnête, encore trop souvent dans la planification actuelle, l’architecte réalise souvent ses esquisses sur la base de son expérience, de ses réflexions personnelles et des intentions du maître de l’ouvrage. Il est amené à prendre des décisions prématurées par rapport à l’état d’avancement du projet d’où il peut résulter des faits difficiles à changer. Cela peut empêcher d’atteindre des résultats optimaux, en particulier dans le domaine de l’énergie.
Sur ce projet, l’administration des Bâtiments publics et tous les membres du groupement, aussi bien côté entreprises (CDCL, Keller, Climalux, Prefalux, Reckinger…) que maîtrise d’œuvre (Fabeck Architectes, Daedalus Engineering, Betic Ingénieurs-Conseils, Basler Und Partner…) ont joué le jeu pour intégrer toutes les possibilités offertes par les techniques de construction et d’installation dès les premières phases de conception. Cela est rendu possible par une collaboration étroite entre l’architecte, l’ingénieur civil et celui en techniques spéciales. Cette collaboration intervient déjà lors des études préliminaires, avant même que la forme du bâtiment et son implantation ne soient définies et c’est véritablement la clé du succès.
Le processus du BIM l’impose aujourd’hui mais je suis convaincu que nous devrions déjà le faire depuis 100 ans.
Source : NEOMAG #11
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