Transformer les défis en opportunités
Rencontre avec Bruno Renders, administrateur et directeur général du CDEC
Selon Bruno Renders, administrateur et directeur général du CDEC, Conseil pour le Développement Économique de la Construction, le secteur est un élément clé dans le passage à une économie plus durable et circulaire. Les acteurs qui le composent savent faire preuve de dynamisme et d’innovation lorsqu’il s’agit de saisir les défis techniques et managériaux qui se posent à eux et de les transformer en leviers d’opportunités.
La construction est le deuxième pilier économique du pays après la finance, et le groupe le plus important dans l’artisanat, aussi bien en termes de nombre d’entreprises que d’emplois. Les chiffres de l’année 2015 publiés par la Chambre des Métiers attestent d’une croissance constante : en 25 ans, le nombre d’entreprises est passé de 1.506 à 3.519 dans ce secteur, alors que les employés sont passés de 23.249 en 1990 à 57.517 en 2015.
« À ce titre, la construction a un rôle déterminant à jouer dans l’économie durable et dans l’économie circulaire », souligne Bruno Renders.
Le fait est que l’on construit chaque année davantage de bâtiments pour accueillir des milliers de salariés et de résidents supplémentaires, ce qui a une incidence positive sur l’économie mais comporte également des effets secondaires. Plus de bâtiments signifie une consommation énergétique plus élevée donc plus de pollution.
« Une des façons de maîtriser cela est de rendre les bâtiments plus efficaces du point de vue énergétique. C’est ce qui est en train de se passer avec la mise en œuvre dès le 1er janvier 2017 du règlement grand-ducal sur la performance énergétique des bâtiments d’habitation. À noter, en outre, que le Luxembourg est un des meilleurs élèves européens en la matière puisqu’il est en avance sur les exigences qu’il s’est fixé pour 2020. Mais on peut également aller encore plus loin que réduire la consommation en se servant des bâtiments pour produire de l’énergie avec des panneaux solaires photovoltaïques et des éoliennes de toit, voire pour en stocker à l’image de ce que fait Elon Musk, le fondateur de Tesla, avec ses batteries domestiques PowerWall. Il existe également
des solutions alternatives à la production d’énergie. Il est aujourd’hui possible de récupérer les sources résiduelles d’énergie qui sont parfois perdues. C’est le cas, par exemple, de la chaleur produite par les serveurs informatiques dans les data centers, qui pourraient être reliés ou installés dans les quartiers afin de chauffer les habitations. Dotés de nouvelles fonctions, plus nobles, ils deviennent des éléments actifs dans un écosystème Smart City », explique Bruno Renders.
Autre fonction dont peuvent être dotés les bâtiments : la production de légumes-feuilles et de légumes-fruits dans des serres urbaines pour répondre aux besoins alimentaires d’une population planétaire qui augmente de manière galopante.
Selon les chiffres avancés par l’association SOS Faim, les consommateurs luxembourgeois auraient actuellement besoin d’environ 2 fois l’espace agricole disponible au Grand-Duché pour subvenir à leurs habitudes de consommation, qui sont en moyenne de 300 kg de produits animaux par an. D’un autre côté, les toitures de bâtiments de bureaux et industriels exploitables représentent presqu’autant d’hectares que les surfaces agricoles actuellement disponibles : 63 contre 66 selon les chiffres avancés par le directeur du CDEC (chiffres tenant compte d’un ratio de 20 % de toitures de bâtiments de bureaux et industriels privés et construits). Le recours à l’agriculture urbaine relève donc de la logique. « Seul 1 % de la consommation luxembourgeoise est produite localement alors qu’à Singapour, on produit 10 % de la consommation d’une population 10 fois plus nombreuse que la population luxembourgeoise, et ce, sur un territoire 3,5 fois plus petit. Ceci démontre qu’il est tout à fait possible de produire localement de quoi nourrir la population résidente », martèle Bruno Renders.
Et ce, d’autant plus que la culture en serre étant une culture en milieu fermé, elle est moins sujette aux variations climatiques puisqu’elle est alimentée par l’air extrait des bâtiments qui a une température et une hygrométrie constantes, donc un rendement bien plus élevé qu’une culture sur un terrain agricole. Bruno Renders précise que : « D’après une étude menée à Montréal, qui se trouve sous la même latitude que Bordeaux et présente des écarts de température saisonniers comparables à ceux du Luxembourg, si on connecte la serre à un bâtiment, on économise au moins 50 % de la chaleur nécessaire pour la chauffer par rapport à une serre classique et on peut ainsi produire jusqu’à 30 kg de légumes par m2. Sachant qu’un adulte consomme entre 55 et 73 kg par an soit 64 kg de moyenne, on devrait être en mesure de produire sur 2 m2 la consommation annuelle d’une personne ».
Les toitures des bâtiments, en particulier celles des bâtiments commerciaux, des immeubles administratifs ou des grands ensembles résidentiels passifs, qui ont souvent pour caractéristiques une forme compacte et un toit plat, constituent un espace exploitable. Bruno Renders cite l’exemple de la toiture du bâtiment d’Eurohub à Bettembourg : sur ses 14.000 m2, on pourrait produire 420 tonnes de légumes chaque année, ce qui correspond à 20 % de la production annuelle luxembourgeoise qui est de 2.500 tonnes selon l’administration des Services techniques de l’agriculture.
L’Urban Farming est un modèle qui combine de multiples avantages : la purification de l’air par le biais de la photosynthèse, le recyclage de la chaleur, de l’humidité et du CO2 générés par les activités humaines au sein des bâtiments où l’on passe 90 % de notre temps, le fait de favoriser des circuits très courts, donc la réduction du trafic routier et de la pollution, la création d’emplois au niveau local, l’apport du végétal dans la ville, la valorisation d’espaces inutilisés, etc.
Un projet pilote de serre urbaine est actuellement mené par le secteur sur la toiture du Neobuild Innovation Center à Bettembourg et le CDEC est en train de se doter des compétences pour coordonner d’autres projets similaires. Le potentiel est grand : « Je suis convaincu que ce type d’agriculture va s’imposer, et probablement plus vite au Luxembourg qu’ailleurs, à la fois pour des raisons liées à l’insuffisance des surfaces agricoles disponibles et au dynamisme des marchés de la promotion immobilière et du real estate. À l’échelle macro, ce type de projet pourrait avoir un impact considérable et le Luxembourg pourrait devenir un pays en pointe en la matière, une Smart Nation qui combine efficacité énergétique et économie circulaire », souligne Bruno Renders.
Ce défi de taille à relever par la construction est avant tout perçu comme un levier d’opportunités par le directeur du CDEC, au même titre que la transition numérique qui est en train de révolutionner les usages et les techniques dans l’ensemble du secteur qui doit faire face au développement accru de l’informatique et des objets connectés. 50 milliards d’objets connectés auront cours d’ici 2020 d’après des études publiées par le Massachusetts Institute of Technology et d’autres cabinets américains spécialisés, dont 45 % se retrouveront dans le monde de la construction. « Il est important d’insister sur la nécessaire adaptation des TPME qui constituent la grande majorité des entreprises de construction pour que la transition numérique ne se transforme pas pour elles en fracture numérique », insiste le directeur du CDEC. Neobuild accompagne notamment le passage au BIM (Building Information Modeling), qui consiste en la numérisation des processus de conception et de construction de bâtiments. Cette transition BIM s’opère grâce à des services BIM dédiés et à travers des formations.
L’impression 3D des bâtiments est également une tendance qui est suivie de très près par Neobuild, tout comme l’évolution des matériaux qui tendent à devenir, non seulement de plus en plus performants, mais aussi multifonctionnels. À titre d’exemple, les prémurs isolés sous vide, qui ont été mis en œuvre dans le bâtiment Neobuild et sont le sujet d’un article dans cette revue (cf. p. 54), allient la fonction statique d’un prémur en béton et la fonction isolante d’un panneau sous vide d’air. La prochaine étape qui se profile est le mur producteur d’énergie. « Cette évolution naturelle, cette mutation, a une incidence sur les compétences », précise Bruno Renders qui ajoute que « les groupes de travail organisés dans le cadre du processus de la 3e révolution industrielle initié par Jeremy Rifkin démontrent que la construction est un secteur clé dans le passage à une économie circulaire. Les acteurs qui la composent s’y montrent extrêmement dynamiques et innovants ». La mutation des compétences touche particulièrement les jeunes : « la construction est un secteur qui recrute en permanence et qui offre une diversité de métiers tous niveaux confondus. L’objectif est de remplacer les générations anciennes par des jeunes qui sont bien préparés », explique Bruno Renders, d’où la nécessité de développer des outils adaptés à la génération Y. La réalité augmentée et la simulation virtuelle, sont des exemples de pistes qui sont explorées dans ce but. De nombreuses initiatives sont également lancées dans le cadre du projet Building Generation, développé en collaboration avec le ministère de l’Éducation nationale (cf. p. 82), afin de mieux faire connaître ce secteur qui offre des perspectives d’emploi et d’évolution de carrière auprès des jeunes. Le projet Fit4Greenjobs, mené de pair avec l’ADEM et le ministère du Travail démontre que la construction est un interlocuteur incontournable dans le cadre de projets de reclassement professionnel ou d’insertion de jeunes en décrochage scolaire.
Mélanie Trélat
Source : NEOMAG
Consultez en ligne NEOMAG #01 octobre 2016
© NEOMAG - Toute reproduction interdite sans autorisation préalable de l’éditeur