En France, un texte « anti-gaspillage et pour une économie circulaire » dans le code de la consommation définit le vrac comme « la vente au consommateur de produits présentés sans emballage primaire en quantité choisie par le consommateur, dans des contenants réemployables ou réutilisables ».
La vente de produits en vrac, dans l’alimentaire mais pas uniquement (on pense notamment aux produits d’entretien, cosmétiques ou d’hygiène), fait partie des solutions pour une consommation plus responsable. Le vrac préfigure-t-il un monde sans emballages ? Quels sont les atouts et les faiblesses de la formule ? Quelle place pour les vracs dans les épiceries du coin ou les supermarchés ? Avec ou sans marque, avec ou sans label bio ? Et au fond quels sont les éléments qui séduisent ou peut-être découragent les consommateurs ?
Au Luxembourg, ces questions se posent avec une certaine acuité, dans la mesure ou au moins deux initiatives de commerce en vrac ont dû jeter l’éponge, Mademoiselle Vrac – une franchise qui tourne bien en France – à Strassen, et Ouni, coopérative locale qui avait démarré sur Luxembourg-Bonnevoie et ouvert un deuxième spot à Dudelange.
Chiffres d’affaires et bénéfices
Dans les deux cas, la réalité économique a pris le modèle à la gorge, renforcée par une logique de marché où la mobilité, le foncier et la mentalité font partie du lot. Parmi les problèmes identifiés comme autant de causes au succès trop relatif, Laetitia (qui avait lancé Mlle Vrac avec enthousiasme) et des coopérateurs-collaborateurs de Ouni citent, en écho de leur ex-clientèle, le besoin de se déplacer en voiture pour être proche du lieu de vente (le cas échéant avec ses bocaux à transporter) et donc la question des parkings, les prix victimes des baux commerciaux qui haussent d’autant le seuil de rentabilité, ou encore la préférence pour un lieu, de type centre commercial, où l’on peut tout trouver…
Cela rejoint une enquête menée par le « Réseau Vrac » en France, qui observe que la moitié du chiffre d’affaires est réalisé dans les rayons de la grande distribution, 45% dans les enseignes spécialisées bio et 5% dans les magasins spécialisés vrac. Sur le même marché français, une étude Nielsen identifie que 4 foyers sur 10 achètent en vrac, le profil consommateurs montrant plutôt des cadres, habitant en zone urbaine, de moins de 35 ans.
Le marché du vrac s’affiche en croissance, même si les confinements de 2020, de nouvelles habitudes de consommation ont émergé, avec moins de temps dédié aux courses et davantage de commandes en ligne privilégiant le modèle de livraison domicile ou le « à emporter » en drive.
Une évolution à suivre ! D’autant que, si les deux commerces précités ont dû arrêter, d’autres se peaufinent au Luxembourg. Les moyennes et grandes surfaces ont tiré leur épingle du bocal, en surfant sur la vague des produits en vrac proposés à côté d’une gamme complète d’autres références classiques, le tout dans un espace où l’on ne se gare qu’une fois, au sec, à proximité et pour faire toutes ses emplettes. Des marques accompagnent le mouvement, en multipliant les références en rayon vrac, tout en continuant à proposer le produit habituel ou la nouveauté à l’essai dans un packaging ad hoc…
L’impact logistique
Stéphanie Lamberty, en lançant Kilogram, s’est un peu positionnée entre les deux. « Avez-vous déjà réalisé des achats en ligne ? Avez-vous déjà rapporté des vidanges en magasin ? Si vous avez répondu oui à ces deux questions, vous avez déjà tout compris au drive zéro déchet de Kilogram », résume-t-elle sur le site de vente.
Le modèle est simple et séduisant : en ligne, on explore le catalogue, on choisit les produits, locaux, bio et consignés en bocaux et on se fait livrer, à défaut de passer chercher sa commande à Steinfort ou Luxembourg. Puis on rend les bocaux consignés à la commande suivante, qui sont remboursés, avant de repartir pour un tour.
Parmi les freins identifiés du modèle « vrac », il y a les denrées « exclues » de l’assortiment, pour des raisons de santé publique, comme le lait, les compléments alimentaires, les surgelés, les aliments pour bébé… ou pour des questions de traçabilité, comme les AOP (Appellation d’Origine Protégée) dont l’estampille est sur l’emballage.
Ensuite, il y a la logistique qui peut faire d’une solution « zéro déchet » un souci commun au moment des livraisons, en amont comme en aval : emballages intermédiaires pour la manutention, charroi, palettes…
Perspectives économiques et sociales
Mais là aussi, il y a des solutions qui renforcent le modèle et font naître de nouvelles perspectives pour des métiers ou/et des entreprises inscrits dans l’économie circulaire. Exemples dans les livraisons « last mile » électriques, les palettes recyclées, le circuit de récupération, de lavage et de remise à disposition de flacons, bocaux et contenants ou encore la digitalisation au service de « comptoirs intelligents » qui génèrent automatiquement les étiquettes.
Les perspectives économiques peuvent donc rejoindre les nouveaux modes de consommation, à condition que les mentalités changent et que l’offre soit au rendez-vous.
On voit d’autres exemples de diversification, de l’autre côté de la frontière belgo-luxembourgeoise. Les offres de magasins pratiquant le vrac, pour des produits locaux, souvent bio et en mode coopératif et régional, gagnent du terrain, dans le secteur d’Arlon-Virton notamment.
Ainsi, Cœur de Village à Bellefontaine-Tintigny, qui vient d’être salué par un « Godefroid de l’économie sociale » (un Award récompensant des initiatives dans divers domaines en province du Luxembourg belge), est une coopérative citoyenne à finalité sociale gérant une épicerie villageoise, à l’emplacement laissé vacant par une « superette » traditionnelle et récupéré avec l’appui des autorités locales.
Avec pour ambition le développement local durable, le tissage de lien social en zone rurale, la création d’emplois durables, l’accès à une nourriture de qualité pour tous et la participation des citoyens, la coopérative fait de l’alimentation générale avec la part belle aux produits locaux, bio, en vrac, mais aussi des articles conventionnels pour attirer le chaland sur un assortiment complet. Astuce économique : la coopérative loue l’étage de son bâtiment, transformé en petit « centre d’affaires » à loyers attractifs, pour des entreprises locales débutantes.
Parce qu’il y a des projets qui ne demandent qu’à pousser et à trouver leur public, leur marché, leur survie, parce qu’il y a des idées en vrac, mais pas désordonnées, le consommateur peut encore s’emballer pour la formule, et la faire avancer.
Alain Ducat
Photos : Ouni, Auchan , Kilogram, Réseau Vrac