Construire et déconstruire, c’est toujours travailler
Si le Luxembourg n’est pas le premier pays à s’intéresser aux applications circulaires dans le secteur de la construction, il a tout de même quelques exemples à son actif, ainsi qu’une stratégie et des guides voués à accélérer la transition. Tour de projets récemment soutenus par le gouvernement.
Inutile de rappeler que les besoins en logements - et autres édifices répondant à la montée démographique - sont pressants au Grand-Duché, où l’on croise inévitablement un chantier sur notre route. Si beaucoup se disent « durables », grâce à de l’ossature bois, à des panneaux photovoltaïques et à des pompes à chaleur de moins en moins énergivores, rares sont ceux que l’on peut qualifier de « circulaires ».
La circularité dans la construction consiste, en très bref, à tenir compte des différentes phases de vie des matériaux et ressources, afin qu’elle soit cyclique et non plus linéaire. Parmi les bonnes pratiques : concevoir des bâtiments qui pourront être transformés et adaptés à de nouveaux besoins – ou démontés, installer des systèmes de récupération des eaux de pluie et grises pour diminuer considérablement le recours à l’eau potable, récupérer des éléments issus d’une déconstruction pour éviter de devoir en fabriquer d’autres, recourir à des ressources abondantes (terres d’excavation) ou rapidement renouvelées (paille), etc.
Construction circulaire
Le pays explore de nouvelles techniques, pour lesquelles la circularité se pense dès la conception. Il y a d’abord eu La Petite Maison, conçue en acier, qui a été montée à Belval dans le cadre d’ESCH2022, avant d’être entièrement démontée. Le but : montrer que c’est possible !
À Niederanven, une tiny house de 47 m2 sera prochainement imprimée, en une semaine, en béton. L’impression 3D en phases permettra de détacher les différents modules pour les réassembler sur un autre site.
En matière de réemploi, le parking LoopPark a tout récemment été inauguré sur le campus automobile de Bissen. Dans un squelette métallique (en acier recyclé) sont encastrées des dalles de béton préfabriquées. La structure a été pensée de manière modulaire, de telle sorte que le parking pourrait devenir un immeuble de bureaux, par exemple. Une base de données reprend l’ensemble des matériaux utilisés dans ce projet.
La ville de Dudelange dispose depuis quelques mois d’un nouveau hall polyvalent conçu par FATT architectes. L’édifice – en bois et support acier - a été pensé pour être déplacé dans une dizaine d’années, vers un autre site déjà défini. Le projet a été réalisé en Open BIM, la planification a donc été réalisée numériquement, ce qui facilite la construction et rendra aussi beaucoup plus aisés le (dé)montage à venir.
À l’autre bout du monde, le Luxembourg a décidé de prouver son savoir-faire circulaire en construisant un pavillon entièrement démontable sur le site de l’Exposition universelle d’Osaka. Plutôt que de transporter des matériaux sur des milliers de kilomètres, le projet consiste à employer des ressources locales qui seront tout aussi localement réemployées à l’issue de cette exposition temporaire d’envergure. Les têtes pensantes sont bien des sociétés installées au Luxembourg, mais la concrétisation se fait de la manière la plus écologique possible grâce aux ressources matérielles et humaines japonaises.
« Pour ces projets, les bénéfices seront ressentis plutôt dans le futur, lors d’une adaptation ou d’une réutilisation de composants, des produits, des matières. »
Paul Schosseler, directeur construction durable et économie circulaire au ministère de l’Économie
Déconstruction et réemploi
Comme l’illustrent les exemples cités ci-dessus, si les nouveaux bâtiments sont davantage pensés au-delà de la première vie de leurs composants, il ne s’agit clairement pas encore d’une habitude du secteur ni d’une obligation légale. Le réemploi consiste à récupérer des matériaux à la fin de vie d’un bâtiment et à les utiliser pour une nouvelle construction ou une rénovation. Jusqu’ici, comme les bâtiments n’ont pas été conçus pour être déconstruits mais plutôt démolis, il s’avère difficile d’en retirer l’ensemble des bénéfices. C’est toutefois partiellement possible et progressivement pratiqué.
Le Lycée Michel Lucius a fait l’objet d’un projet pilote de réemploi et de reconstruction de 2018 à 2021 et a été récompensé début 2024 au niveau européen par le prix New European Bauhaus. Un projet assez complexe, expliqué dans cette vidéo :
D’autres bâtiments ont été déconstruits plutôt que démolis, comme la gare CFL d’Ettelbruck (projet Interreg Digital Deconstruction) et le bâtiment Euroffice du Fonds de compensation.
Dans le nord, à Wiltz, qui dispose d’un circular innovation hub proactif, le bâtiment IDEAL - inoccupé depuis 1993 – se prépare à renaître grâce au Fonds du Logement. Les matériaux et équipements encore présents seront remis en état et réintégrés, ce qui permettra par ailleurs de préserver le cachet de ce bâtiment historique. Des matériaux biosourcés certifiés Cradle to Cradle sont plébiscités dans le cadre de cette rénovation.
« Nous explorons prudemment le terrain, sollicitant, expérimentant, et veillant à ce que les coûts ne flambent pas simplement au nom de l’économie circulaire. L’objectif est de réutiliser, de réemployer, de privilégier le durable, tout ceci dans un budget faisant du sens. »
Éric Kohnen, ingénieur chez Betic, part of Sweco
Des outils pour structurer et pragmatiser
Tous ces projets s’inscrivent dans la Stratégie pour une économie circulaire Luxembourg, publiée en 2021 par le ministère de l’Énergie et de l’Aménagement du territoire.
En avançant et en testant, les autorités parviennent à poser des bases théoriques et à développer des guides pratiques pour durabiliser le secteur.
Le Guide de la déconstruction a été publié en 2022 par l’Administration de l’environnement et la Luxembourg Institute of Science & Technology (List) pour accompagner les maîtres d’ouvrage dans les chantiers de déconstruction : on y trouve des conseils sur le phasage et l’inventaire, une check-list et des exemples concrets de produits couramment réemployés.
Où trouver ces éléments issus de la déconstruction, afin de les réemployer ? Là aussi, des outils – issus du secteur privé cette fois - se sont développés, avec l’arrivée de deux plateformes digitales – une proposée par Schroeder & Associés / Fresh, l’autre par BIM-Y), à considérer comme les « Brico en ligne » de la seconde main. Pour identifier leurs caractéristiques circulaires, des registres digitaux seront aussi nécessaires, dès le stade de conception cette fois. À cette fin, le Luxembourg a développé le Product Circularity Data Sheet (PCDS), actuellement commercialisé par Terra Matters (lire aussi plus loin dans ce dossier).
En 2023 est parue la Feuille de route construction bas carbone, qui « décrit les méthodes et outils à développer dans les années à venir pour transposer les nouvelles dispositions de la directive européenne sur la performance énergétique des bâtiments (DPEB) ».
Plus tôt cette année, Klima-Agence a présenté l’outil Baucheck, en priorité destiné aux communes mais tout à fait inspirant pour l’ensemble des maitres d’ouvrage. Il deviendra une référence pour les constructions futures.
La question cruciale du stockage de ces matériaux récupérés lors de chantiers de déconstruction est en train d’être – au moins partiellement - adressée par un projet Interreg impliquant la commune de Wiltz. À découvrir en détails plus loin dans le dossier.
Marie-Astrid Heyde
Article tiré du dossier du mois « Fondations solides »
Photo principale :
- En haut à gauche : Projet Michel Lucius
- En haut à droite : Hall polyvalent de Dudelange
- En bas à gauche : Tiny house à Niederanven
- En bas à droite : Pavillon du Luxembourg pour l’Exposition universelle d’Osaka