Déployer le photovoltaïque à grande échelle
Eurosolar Lëtzebuerg a pour mission de promouvoir la production d’énergie photovoltaïque au Luxembourg, avec pour objectif d’atteindre 100 % d’énergie renouvelable d’ici 2030. Interview de Paul Zens, président - Eurosolar Lëtzebuerg asbl.
Eurosolar Lëtzebuerg a participé au projet Interreg PV follows function qui s’est terminé le 31 décembre dernier et dont le but était de renforcer le développement technique et la mise en œuvre du photovoltaïque intégré au bâti à travers des projets pilotes en France, en Belgique, en Allemagne et au Luxembourg - où ils sont développés par Neobuild. Après ce projet, quelle est l’étape suivante ?
Il faut maintenant passer du stade de la « maison témoin » à un déploiement à grande échelle pour que le prix des équipements photovoltaïques se démocratise.
Comment faire pour déployer le PV à une plus grande échelle ?
Il faut penser aux énergies renouvelables dès la phase de planification. Les maîtres d’ouvrage construisent non seulement dans un espace géographique, mais aussi dans le temps et, aujourd’hui, nous sommes au temps de la transition énergétique, de la crise climatique, des émissions excessives de CO2, et du gaspillage aussi. Les architectes et ingénieurs-conseils doivent prendre leurs responsabilités, il leur revient de connaître les solutions et de les proposer à leurs clients.
Il faut aussi avoir une gestion globale et intelligente de l’énergie produite et consommée par un bâtiment. Passer d’une logique linéaire à une logique circulaire concerne aussi les flux énergétiques. Par exemple, on peut récupérer la chaleur produite par les ordinateurs dans un bâtiment administratif pour chauffer les bureaux à travers un système de chauffage par le sol à basse température, et fonctionner ainsi en circuit fermé sans avoir besoin de recourir à des ressources extérieures. Mais tout cela, bien sûr, implique la création de connexions et d’un réseau qui doivent être établis dès le départ.
C’est avec ce type d’approche qu’on augmentera la demande et que les fabricants commenceront à produire des panneaux photovoltaïques, et des panneaux photovoltaïques plus esthétiques que ceux qui existent actuellement. Car le design est important, en particulier pour les bâtiments historiques. Il faut donc faire des progrès en la matière.
Que dire à ceux que l’investissement initial freine ?
L’investissement est peut-être un peu plus élevé au départ mais, à long terme, l’énergie sera gratuite ou moins chère, donc on réalisera des économies. Pour un investisseur, c’est une autre manière de calculer son amortissement dans la mesure où il peut bénéficier d’abattements fiscaux. Une installation PV en toiture de 10 kW crête s’autofinance au bout de 9 ans de production d’énergie solaire. C’est toujours rentable qu’on réinjecte l’électricité dans le réseau ou qu’on l’autoconsomme.
Qu’en est-il de la question du stockage ?
La tendance est que chacun ait sa propre batterie, mais on peut se poser la question de savoir si, pour un lotissement, il ne faudrait pas prévoir une batterie commune qui permettrait que l’un consomme ce que l’autre a produit, ce qui serait aussi plus facile pour le gestionnaire de réseau et moins coûteux pour les résidents qui pourraient partager les frais d’installation. Là encore, c’est à prendre en compte dès la planification car il faut prévoir un lieu pour installer la batterie ainsi qu’un réseau, à l’échelle du quartier, où l’électricité peut circuler en circuit fermé, et il faut choisir le type de stockage : batteries à lithium-ion, à sodium-ion, batteries de Carnot qui stockent l’énergie sous forme de chaleur ou hydrogène vert.
Si on parle d’autoconsommation et de stockage, le pas suivant est la smart city…
Il faut mettre en place des circuits énergétiques intelligents. Les solutions technologiques existent déjà pour le faire.
La transition énergétique s’appuie sur un changement d’habitudes des usagers et sur la complémentarité entre les différentes sources d’énergie renouvelables : on utilise ce qui est disponible.
Il faut réfléchir à la complémentarité au niveau du quartier et à plus grande échelle, comme on le fait déjà avec les réseaux de gaz urbain par exemple, et il est important de communiquer tous ensemble au lieu de faire chacun les choses dans son coin.
Que ce soit dans sa maison, sa ville, son pays ou en Europe, fonctionner en circuit fermé est bon pour la nature parce qu’on ne surexploite pas des ressources qui sont finies, mais c’est aussi bon pour notre liberté, notre indépendance, notre démocratie. C’est ce sur quoi a mis l’accent l’invasion de Poutine en Ukraine.
Quel est le potentiel du BIPV ? Que pourrait-on produire si on équipait tous les bâtiments avec des panneaux photovoltaïques ?
100 km2 de panneaux photovoltaïques en toiture permettraient de couvrir plus de la moitié de l’énergie globale consommée au Luxembourg qui était de 52 000 GWh en 2019 et de 38 000 GWh si l’on retire la consommation industrielle. Et nous avons environ 200 km2 de toitures disponibles - 150 km2 si on exclut les versants nord et les bâtiments historiques.
Dans les scénarios qui visent à faire du Luxembourg un pays « 100 % énergies renouvelables » d’ici 2030, une des premières conditions est de diminuer de façon conséquente notre consommation. Je pense qu’il est possible d’arriver à 27-30 000 GWh/an.
Toutes ces notions restent très théoriques. Il y a, par exemple, beaucoup de SUV qui sont conduits par des Luxembourgeois, mais qui sont fabriqués en Allemagne. Les Allemands ont donc dans leur bilan énergétique la production de ces voitures, même si ce n’est pas eux qui les roulent. Ces bilans sont donc toujours artificiels mais nous avons l’obligation morale de produire le plus d’énergie renouvelable possible et celle de faire des économies en changeant notre manière de vivre extravagante.
Mélanie Trélat
Extrait du NEOMAG#53
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