C’est clair, il faut aussi faire bouger les lignes et changer les habitudes. « L’ACL pense qu’il faut créer un cadre pour faciliter la gestion de la mobilité des entreprises, qui sont consommatrices majoritaires de besoins de mobilité. » Jean-Claude Juchem évoque la fonction de mobility manager, à encourager dans le monde économique luxembourgeois. « Il faut favoriser les changements et il est nécessaire de travailler ensemble à ce sujet sensible et primordial, pour sensibiliser aux émissions, pour faire chuter le bilan carbone. »
Il y a des habitudes sociétales aussi, soulignées par Norry Schneider (CELL) : « Il existe une forte relation à la notion de propriété privée, à la possession d’une ou plusieurs voitures. C’est un rapport que l’on peut en partie changer en prenant en considération le besoin de mobilité. Est-ce que j’ai vraiment besoin d’une voiture ? Nous croyons à la ‘glocalisation’, au commerce local par exemple qui limite le besoin de se déplacer pour les courses, à l’organisation collaborative et aux initiatives citoyennes, comme les véhicules partagés dans une petite communauté. »
Acheter de la mobilité comme un service
Pour sensibiliser, il y a sans doute une approche à privilégier : « Souligner le coût de la mobilité individuelle – les frais qu’engendrent une voiture, non pas à l’achat, mais répartis sur sa durée de vie par exemple -, ça interpelle et permet de comparer les moyens de déplacement », note Antonio Da Palma Ferramacho, expert à l’ACL. « On va vers un partage de la mobilité, notamment vers moins de véhicules et plus de kilomètres parcourus par véhicule. »
Pour François Bausch, « à l’avenir, on va acheter de la mobilité, plus qu’un moyen de locomotion. Ce dont on a besoin, c’est de se déplacer efficacement. Ce rapport aux besoins et aux coûts que cela engendre est important. Les formules existent : leasing à la demande, voitures partagées, transports en commun efficaces, meilleures liaisons multimodales entre villes et espace rural… On n’est qu’au début du modèle ‘MaaS’, la mobilité envisagée globalement, comme un service. »
Tout est lié
Mais où sont les freins et quelles sont les limites du système ? « Les limites sont dans les esprits. Elles ne se trouvent pas aux frontières en tout cas », analyse le ministre Bausch. « Rejeter la faute des bouchons sur les frontaliers par exemple, cela n’a pas de sens. »
La mobilité pourrait-elle s’appuyer sur une redistribution économique à l’échelle de la Grande Région ? « Cela pose la question de la croissance économique effrénée du Luxembourg », souligne Norry Schneider, « et donc du modèle économique que l’on souhaite. » « Aucun problème à répartir les centres et les intérêts économiques au sein de la Grande Région », enchaîne François Bausch. « On en discute souvent avec les homologues de France, de Belgique ou d’Allemagne, de la même façon qu’on cherche des solutions ensemble pour améliorer la mobilité transfrontalière. Tout est lié en effet. »
Jean-Claude Juchem souligne l’importance d’impliquer le monde socio-économique dans la vision holistique de la mobilité. « L’organisation du travail peut jouer un rôle majeur dans le lissage des heures de pointe notamment. Il faut sensibiliser encore, cibler le manager et le décideur, tous les acteurs socio-économiques. Les politiques RH évoluent également, en changeant le rapport au leasing par exemple ; la voiture n’est plus seule prise en compte, au profit de formules multimodales. »
« La voiture restera un moyen de locomotion important, on le sait. Et on sait aussi que la décarbonisation est un vrai sujet », poursuit le ministre. « Je ne suis pas partisan des déclarations fracassantes. Paris interdit tels véhicules, Bruxelles fait des annonces dans ce sens… La provocation n’est pas un atout politique, nous on nous demande de gérer les problèmes. Je préfère une vision globale à court, moyen et long terme, qui va de pair avec se donner les moyens de proposer des solutions crédibles. »
L’électromobilité, mais pas que…
L’électromobilité en fait partie et Jean-Claude Juchem y croit. « Cela fait partie des axes que nous défendons à l’ACL, que l’on parle de voitures ou de vélos par exemple. Encore une fois, il faut informer, collaborer pour apporter des messages clairs. » « Et n’oublions pas que pour que l’alternative électrique s’installe durablement, il faut améliorer le réseau pour les recharges, densifier notamment le service dans les entreprises, les résidences, les parkings », appuie Antonio De Palma. François Bausch met d’abord un léger bémol : « La technologie, c’est un outil parmi d’autres mais ce n’est pas le remède. L’électromobilité améliore les véhicules mais ne résout pas la mobilité. Si vous remplacez 100 voitures thermiques par 100 voitures électriques, vous avez quand même un bouchon… Cela étant, oui améliorer le réseau de recharge est un enjeu et on y travaille bien, les initiatives vont dans ce sens. D’ici 2 ans, on sera au top en Europe. »
Au final, les visions se rejoignent, avec la mobilité multimodale pour horizon et des changements de mentalité pour objectif. « La qualité de vie est un bon message, et cela passe aussi par des alternatives locales, qui réduisent les besoins de se déplacer », conclut Norry Schneider pour le CELL. « ProVelo espère d’abord un apaisement du trafic et la durabilité de la mobilité, la sécurité pour tous les usagers qui cohabiteront mieux s’ils ont leurs espaces à la fois réservés, respectés et interconnectés », ajoute Yves Meyer.
Jean-Claude Juchem rappelle qu’il importe de véhiculer des messages clairs, sans contradiction dans le discours, mais avec un maximum de collaboration entre acteurs, notamment pour une multimodalité réussie. « L’éducation et la formation sont une clé, comme l’implication du monde socio-économique. Si tout le monde s’y met, on avancera. »
Le mot de la fin est laissé au ministre Bausch : « L’enjeu, c’est de connecter les espaces, urbains et ruraux, et surtout de redonner la priorité à l’humain. Nous devons faire bouger des personnes, plus que faire bouger des véhicules ».
Reportage : Alain Ducat et Sébastien Yernaux