« Le Luxembourg doit se positionner dans la construction durable »
De nouveaux matériaux et une aide plus importante de l’État pourraient être les deux facteurs déterminants pour relancer le secteur de la construction et créer une nouvelle économie encore plus forte. Rencontre avec Dave Lefèvre, de chez Coeba architectes.
Les dernières crises nous montrent à quel point nous sommes vulnérables. On parle beaucoup de résilience. Dave Lefèvre pense que les gens commencent à chercher de nouvelles pistes pour s’en sortir. « Je suis optimiste quant à la possibilité d’un rebond économique grâce à ces innovations dans la construction durable. Même s’il faut se rendre à l’évidence que le choix des matériaux est assez réduit actuellement. »
Une transition vers une économie axée sur la durabilité peut catalyser la croissance économique à long terme. « Des projets de construction, de rénovation ou d’assainissement énergétiques, qui privilégient des matériaux primaires locaux à faible impact environnemental comme la terre crue, les matériaux biosourcés (bois, paille et autre), ou la réutilisation de matériaux provenant de la déconstruction d’immeubles offrent des solutions écologiques tout en renforçant une économie résiliente. »
La guerre en Ukraine et la pandémie du COVID ont démontré à quel point nous étions dépendants des matières premières non produites en Europe centrale. Il faut donc apprendre de ces crises pour implémenter de nouvelles économies. « Le Luxembourg, de par sa nature, est plus axé sur une économie de services que d’industrie de production. Je pense que notre économie devrait s’orienter davantage vers la production de matières premières et de développement de nouveaux matériaux.
Ces constats ne peuvent être dissociés de la crise climatique à laquelle nous allons être confrontés davantage chaque jour. Nos choix économiques futurs devront répondre à cet enjeu planétaire. En considérant ces différentes réalités, l’innovation dans le secteur de la construction est nécessaire et inévitable. L’utilisation de matériaux durables déjà présents sur le secteur de la construction doit être encouragée et développée. Il faut également favoriser le développement de nouveaux matériaux produits sur le sol luxembourgeois à partir de matières premières locales à basse empreinte écologique.
Un recours à l’intelligence artificielle ?
En développant des nouveaux matériaux de construction à faible empreinte écologique à partir de matières premières régionales, nous réduisons les distances de transport et favorisons l’économie locale tout en limitant les émissions de carbone. Décarboner le secteur de la construction est vraiment la grande urgence. »
Ainsi des efforts importants sont demandés sur tous les niveaux. « Nous ne pouvons plus nous préserver d’une augmentation de la taxation de la tonne du CO² qui actuellement est sous-évaluée. Par ce levier, les prix des matériaux énergivores en CO² augmenteront et par conséquent le recours à ces matériaux se réduira grandement. Ceci dynamiserait l’innovation et le développement de nouveaux matériaux économes en Gaz à effet de serre et contribuerait à l’évolution de notre modèle économique luxembourgeois. Étant donné que nous faisons face à une crise de ressources humaines dans presque tous les secteurs, le recours à l’intelligence artificielle combinée à la digitalisation et la robotisation permettraient de créer des nouvelles chaînes de valeurs au niveau régional par la préfabrication industrialisée d’éléments de construction durable. »
Ceci représenterait une des solutions dans le domaine de la construction afin d’atteindre les objectifs de réduction de carbone fixés pour 2030 et respectivement 2050.
« La feuille de route construction bas carbone Luxembourg, développée par le ministère de l’Énergie et de l’Aménagement du territoire et le ministère de l’Environnement, du Climat et du Développement durable est une base importante à atteindre ces objectifs. Elle sera présentée le 20 septembre lors de la conférence La décarbonation du secteur luxembourgeois de la construction par le ministre Claude Turmes Conseil sous l’égide du CNCD (Conseil national de la construction durable). »
Est-ce que la société est prête à accueillir ce changement ? « Avant toute chose, elle répond à ses besoins primaires : se nourrir, se loger et garantir un certain bien-être. La crise climatique qui nécessite des mesures de décarbonation audacieuse les impactera considérablement.
Des compromis seront nécessaires. Par le Green Deal, l’Europe a défini des objectifs et prévu des moyens financiers de grande envergure pour endiguer le réchauffement climatique actuel. Le rôle de l’État sera primordial, à savoir accéder à ces fonds permettant les développements économiques évoqués précédemment.
L’intégration ciblée d’installations techniques, telles que l’automatisation et la gestion intelligente des ressources, joue un rôle clé dans la construction durable. Elles permettent de surveiller et de contrôler de manière proactive la consommation d’énergie, l’utilisation rationnelle de l’eau, le chauffage, le rafraîchissement et la ventilation. Cela conduit à une utilisation plus efficace des ressources et à une réduction des coûts à long terme. Nous insistons néanmoins à limiter ces installations techniques au strict nécessaire. De plus, en adoptant une approche de cycle de vie intégral, nous prenons en compte les différentes phases du bâtiment, de la construction à l’utilisation et à la fin de vie, afin de minimiser l’impact global sur l’environnement. »
Pour repartir de plus belle, Dave Lefèvre met en avant un aspect essentiel. « Il est temps de déplacer notre perspective de démolition et de reconstruction vers celle de la transformation, de l’assainissement énergétique et de la rénovation du patrimoine existant avec des matériaux durables. Ainsi nous préservons l’histoire architecturale tout en réduisant l’empreinte écologique du pays.
Actuellement l’absence d’agréments techniques pour les matériaux de construction durables constitue un obstacle majeur dans leur développement et leur mise en œuvre. Un agrément technique est un document établi par des laboratoires agréés attestant leurs domaines d’emploi possible et les conditions de mise en œuvre. Celui-ci certifie par exemple le comportement au feu, les caractéristiques acoustiques, statiques, … Leur absence découle malheureusement d’un manque important de ressources financières disponibles des fabricants afin de mener les tests nécessaires. Pour réellement propulser l’adoption de matériaux durables, il devient impératif d’établir un système de subventions soutenu par l’État, spécifiquement dédié à cette facette de l’industrie . Cette absence d’agréments pose un obstacle sur le chemin de la généralisation des matériaux de construction durables. Ils ne sont pas de simples formalités. Cependant, les coûts liés à la réalisation de tests approfondis représentent souvent un défi intimidant pour les fournisseurs, en particulier pour les start-ups opérant avec des budgets limités. »
Ce soutien financier agirait comme un catalyseur, facilitant la participation tant des fournisseurs établis que des start-ups émergentes dans la création d’un portefeuille complet de matériaux écoresponsables. « En mettant en place ce système de subventions, le Luxembourg pourrait se positionner en tant que précurseur dans la promotion des pratiques de construction durables, favorisant ainsi un environnement qui conjugue innovation et durabilité. Non seulement cela encouragerait les fournisseurs à investir dans le développement d’une plus large gamme de matériaux respectueux de l’environnement, mais cela s’harmoniserait également avec l’engagement national de réduire l’empreinte carbone des activités de construction. »
Un bon point pour le secteur déjà en place, mais également pour ceux qui souhaitent se lancer. « Cette approche ne pourra pas se faire sans une adaptation des réglementations existantes. Une évolution combinée des innovations technologiques et du cadre législatif de la construction luxembourgeoise est primordiale. Le cadre réglementaire actuel pose souvent des défis souvent insolutionnables pour l’incorporation de nouvelles pratiques. Cependant, un système de subventions soutenu par l’État et dédié aux agréments techniques ainsi qu’au développement de ces matériaux pourrait faciliter l’alignement de ceux-ci sur le paysage réglementaire. Ces approches proactives ont le potentiel de redéfinir le paysage de la construction en plaçant la durabilité au premier plan de l’évolution industrielle. »
Propos recueillis par Sébastien Yernaux
Photo : Fanny Krackenberger
Article tiré du dossier du mois « Doheem »