Quel impact de la taxonomie européenne sur le secteur de la construction ?
Tessa Marseille, project manager chez SECO Luxembourg, explore les défis et opportunités posés par la taxonomie européenne dans le domaine de la construction. Un outil clé pour guider les entreprises vers des pratiques durables.
Quels sont les principaux impacts de la taxonomie européenne dans le domaine de la construction ?
La taxonomie européenne, qui vise à classer les activités économiques selon leur durabilité, a un impact considérable dans de nombreux secteurs, y compris la construction. Elle impose des critères techniques stricts, poussant ainsi les acteurs du bâtiment à adopter des pratiques plus durables. Cette réglementation européenne n’est pas uniquement une initiative luxembourgeoise, mais concerne l’ensemble des pays membres de l’Union européenne (UE). Cependant, seules certaines entreprises y sont soumises, en fonction de leur taille et de leur chiffre d’affaires.
Elle vise à réorienter les flux d’investissement vers des projets véritablement engagés dans la lutte contre le changement climatique, favorisant ainsi un cadre de construction plus responsable. En plus des constructions neuves, la taxonomie s’applique également aux projets de rénovation et à l’acquisition de biens immobiliers, rendant son champ d’application vaste. Cette évolution concerne directement de nombreuses entreprises au Luxembourg et dans toute l’Europe, et s’avère essentielle pour répondre aux objectifs environnementaux fixés par l’UE.
Les entreprises du Luxembourg sont-elles prêtes à s’y conformer d’ici 2026 ?
C’est difficile à dire avec certitude. Il reste de nombreux défis à relever. Premièrement, la complexité des exigences. Les critères varient en fonction de l’activité, et la capacité des entreprises à se conformer dépendra grandement de leur compréhension et de leur adaptation à ces critères. Certaines entreprises s’y adapteront plus facilement que d’autres.
Deuxièmement, les investissements nécessaires représentent un obstacle majeur, surtout pour les petites et moyennes entreprises (PME). Elles devront investir dans de nouvelles technologies, des matériaux durables et réaliser des études supplémentaires pour prouver leur conformité. Le coût financier et organisationnel de ces changements sera élevé pour certaines d’entre elles.
Enfin, les délais de mise en conformité sont également serrés. Avec 2026 qui semble à la fois lointaine et proche, le temps pour implémenter ces changements peut sembler court pour beaucoup, compte tenu de l’ampleur des ajustements requis.
Pensez-vous que l’analyse du cycle de vie des bâtiments va jouer un rôle important à l’avenir ?
Absolument. L’analyse du cycle de vie (ACV) permet de comprendre l’impact environnemental global d’un bâtiment sur toute sa durée de vie, de l’extraction des matériaux à la fin de vie du bâtiment. Cela aide à identifier les phases et matériaux les plus polluants ou énergivores, tout en proposant des solutions pour réduire ces impacts.
À l’avenir, cette approche holistique sera cruciale pour diminuer les émissions de gaz à effet de serre (GES) en optimisant la conception des bâtiments, en choisissant des matériaux moins polluants et en améliorant les techniques de construction. L’ACV aurait sans doute dû être indispensable bien avant, mais la prise de conscience actuelle pousse le secteur à l’intégrer désormais.
Tessa Marseille, SECO Luxembourg
Luxembourg est-il en avance par rapport à ses voisins en termes de durabilité ?
Le Luxembourg est proactif en matière de durabilité, aligné sur les directives européennes. Toutefois, si on le compare à des pays voisins, il reste un peu en retard. Ces pays ont instauré des réglementations plus strictes depuis plus longtemps. Mais le Luxembourg progresse rapidement, et je pense que les efforts actuels permettront bientôt au pays de combler cet écart.
Les certifications environnementales sont-elles importantes pour les entreprises luxembourgeoises ?
Oui, les certifications comme BREEAM ou DGNB sont très recherchées dans le secteur de la construction et de l’immobilier. Ces certifications garantissent qu’un bâtiment répond à des critères environnementaux stricts, facilitant ainsi sa conformité avec la taxonomie européenne.
Cela dit, il existe une différence entre les certifications pour la construction et pour la rénovation. Bien que les deux visent à réduire l’impact environnemental, les exigences diffèrent selon le type de projet. Dans une rénovation, par exemple, certaines contraintes structurelles peuvent limiter les améliorations, alors que dans une construction neuve, tout peut être planifié dès le début pour atteindre les objectifs de durabilité.
Pensez-vous que la taxonomie européenne peut limiter le phénomène de greenwashing ?
Je le pense. La taxonomie impose une transparence accrue sur les pratiques des entreprises, forçant celles-ci à prouver concrètement leur engagement en matière de durabilité. Cela limite les risques de greenwashing, où les entreprises revendiquent des actions écologiques sans réel fondement. Avec la taxonomie, les investissements devront aller vers des projets conformes à des critères stricts. Les investisseurs, les consommateurs, et même les régulateurs pourront ainsi mieux juger de la réelle durabilité des entreprises.
Les nouvelles générations de professionnels sont-elles plus sensibles à ces enjeux ?
Oui, clairement. On observe que les jeunes générations, qu’elles soient déjà sur le marché du travail ou encore en formation, sont beaucoup plus conscientes de ces enjeux que les générations précédentes. Cette sensibilité accrue pousse l’ensemble du secteur à évoluer. Je suis optimiste. Même si cela prendra du temps, je pense que ces changements deviendront la norme.
Propos recueillis par Sébastien Yernaux